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du premier pèlerinage, où, tout enfant, il accompagna le bon Lorenz sur le chemin de Maria-Zell. « Nous nous agenouillâmes devant l’image de la Vierge sur le chemin, nous récitâmes un Pater noster, pour demander aide et protection durant notre voyage. — Je me sens tout remué, dit soudain mon père en levant vers l’image un œil humide de larmes, vois donc, elle nous regarde avec tant d’amitié ! — Il embrassa le piédestal, je l’imitai, et nous poursuivîmes notre route[1]. » Or, bien loin de renier ces attendrissemens du passé, notre auteur a fréquemment affirmé son désir de conserver à des vies rudes et sans joies la source de si douces effusions. Et, sur la couverture verte de l’édition brochée de ses œuvres complètes, l’on voit, protestation muette de l’âme montagnarde contre les caprices de son interprète, ses propres initiales P. K. se dresser entre une madone isolée dans la forêt et la silhouette d’une église lointaine. — Nous reviendrons d’ailleurs sur sa dévotion personnelle aux figures de la Vierge.

Quels seraient cependant, à l’en croire, les véritables prêtres des temples sans images qu’il rêve en ses heures d’inquiétude morale ? — Il ne nous a pas donné de conclusions nettes sur ce sujet. Dans le Maître d’école forestier, trois personnages se partagent les fonctions du culte au sein de la commune nouvelle : le maître d’école lui-même qui est une sorte d’apôtre laïque : l’Einspaennig, sobriquet d’un véritable prêtre que les scrupules de sa conscience et certains démêlés avec ses supérieurs ont engagé à se réfugier dans la solitude alpestre où se déroule l’action ; enfin le Reim-Rueppel, ce poète populaire aux naïfs discours, émaillés d’assonances puériles et d’images gracieuses, qui prête sa voix aux sentimens des fidèles, durant les cérémonies d’un culte sans règles précises[2].

Ouvrons maintenant la Lumière éternelle ; malgré la présence d’un curé canonique, dans la vallée de Thorwald, nous trouverons plus nombreux encore les candidats au sacerdoce naturels interprètes de l’idée religieuse élargie. Et qui donc a véritablement en ce lieu le droit de marcher, portant entre ses mains la lampe du sanctuaire, le symbole de la foi ? Telle est la question

  1. Waldheimat, I, p. 170.
  2. C’est dans le recueil intitulé Sonntagsruhe, qu’il faut aller chercher l’expression la plus nette de ces rêves d’une religion améliorée. Ces pages sont d’ailleurs assez banales et un peu prudhommesques par endroits.