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traits de la pensée de Renan[1]. C’est une tendance à marier aux harmonies de la nature les cérémonies du culte, comme il l’indique dans l’aventure de ce jeune prêtre qui, perdu dans la montagne au cours d’une nuit d’orage, découvre, après une suite d’émotions puissantes, la religion de la souffrance humaine et le langage muet de la création, en sorte qu’il dit au matin sa messe sur la pierre nue des sommets, et résume par ces mots sa morale élargie : « Tu dois contempler Dieu dans ses œuvres et faire du bien à ton prochain[2]. »

Ailleurs[3]le poète nous montre une mère qui, en l’absence d’un prêtre qualifié pour bénir les restes de son fils expiré, place le corps tout près d’une claire cascade de la montagne, « espérant que le souffle béni de Dieu réside dans chaque goutte de ses eaux. » — Puis nous assistons à des demi-miracles, créés par quelque coïncidence sentimentale, mais dont l’explication est toute rationnelle[4]. Nous entendons opposer sans cesse l’Evangile au catéchisme ; nous voyons les autorités ecclésiastiques adjurées d’insister, dans l’éducation populaire, davantage sur le livre divin, et moins strictement sur le résumé doctrinal[5]. Nous constatons des velléités iconoclastes qui se trahissent fréquemment dans l’œuvre de Rosegger, les images de sainteté ayant le privilège de blesser à la fois son sens esthétique, et ses susceptibilités morales. Et, certes, il serait permis de faire des réserves sur l’ornementation des églises de la haute Allemagne, qui empruntent à l’Italie quelque chose de son goût pour les oripeaux criards. Mais, après tout, l’adoration ou la vénération des fidèles ne doivent pas, s’ils sont bien instruits, s’adresser à l’image matérielle, et l’on peut combattre la superstition et le matérialisme dans le sein de la religion chrétienne, sans édicter des prescriptions aussi radicales que celle de Mahomet[6]. — Comme d’ordinaire, Rosegger s’est d’ailleurs contredit lui-même à plusieurs reprises sur ce point. Il nous rapporte, par exemple, avec une véritable émotion les tendres effusions de son père, lors

  1. Comparez les idées de Rosegger aux vues exprimées dans la préface des Études d’histoire religieuse, p. 16, sur la nécessité de la religion au village, sur son rôle esthétique dans la vie paysanne.
  2. Geschichtenbuch des Wanderers, « En montant vers Dieu. »
  3. > Waldheimat, II, p. 245.
  4. Volksleben, « l’Autel, » ou Allerhand Leute, « le Charbonnier Hansel. »
  5. Das Ewige Licht ou Allerlei Menschliches.
  6. Waldschulmeister ou Sonderlinge, « Pierre le mal né. »