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par exemple le Refuge des Pécheurs, récit de la chute et des souffrances d’une nouvelle Gretchen. La scène de la séduction s’y rencontre au début, mais elle est à ce point voilée qu’un lecteur peu perspicace reconnaîtra seulement vers la conclusion du drame que le prologue charnel en a passé discrètement sous ses yeux. Néanmoins, Rosegger a ses momens de liberté, où il montre le goût non pas du nu classique et païen, comme il le proclame pour s’excuser[1], mais bien du dévêtu, qui en est assez différent, puisqu’il se cache au lieu de s’offrir, et n’est contemplé qu’à la dérobée. Fréquentes sont dans son œuvre les scènes de bain où quelque Actéon de village surprend une Diane rustique, si chaste parfois qu’elle plongera sous les eaux pour y cacher à jamais sa pudeur : ainsi fait l’héroïne du Waldschulmeister, Waldlilie. — Mais on peut voir aussi Diane guetter à l’occasion un moderne Actéon, comme il advient à cette singulière princesse Juliana, en qui Rosegger veut incarner la souveraine selon son cœur. Placée au fond d’une forêt en présence du beau Martin, son hôte, elle contemple un certain soir par une fenêtre sans volets la toilette de nuit de l’homme qu’elle aime déjà ; et les détails de cette scène sont assez précisément développés.

Un des héros de la Lumière éternelle, Rolf, est un véritable Adamite, qui, renouvelant les fantaisies de quelques sectes religieuses du passé, aime à s’étendre sans vêtemens au soleil sur un rocher perdu dans la montagne, ce qui prête à des facéties scabreuses[2]. Tout cela rappelle trop les expériences douteuses que Gœthe rapporte dans son Voyage en Suisse, alors qu’il s’efforçait d’animer les aspects de la nature alpestre par quelques personnages dans le costume des idylles antiques. Encore Gœthe goûtait-il ses reconstitutions archéologiques de façon ouverte, et non pas à la dérobée ainsi que font les héros de Rosegger. Malgré tout, elles étonnent et choquent notre goût moderne : on sent mieux, à y songer, la vérité de ce jugement de Taine, exposant dans une page pittoresque de sa Philosophie de l’Art, qu’indépendamment de toute idée morale, le nu ne saurait être naturel, accepté, artistique sous le climat du Nord comme jadis sous le soleil de l’Attique. Là-bas, l’air sec et lumineux jetait sur la chair comme une sorte de patine de bronze : tandis que,

  1. Mein Weltleben p. 410.
  2. Voyez aussi les Confidences personnelles du curé de Thorvald, p 354.