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cas, qu’on ne saurait toucher d’une main trop discrète, si l’on veut éviter de scandaliser les simples et de troubler ceux-là mêmes qui n’ont pas trop de leur force morale intacte pour accomplir un vœu tout de générosité et d’audace. Rosegger avait débuté avec une certaine réserve dans cette voie épineuse. Son Vicaire de village, œuvre dramatique avortée devant le succès du Curé de Kirchfeld d’Anzengrueber, et devant les conseils du Dr Svoboda[1], a trouvé place sous forme de nouvelle dans les Péchés villageois (Dorfsuenden), l’un de ses recueils les plus accomplis. Ce récit met en scène un jeune prêtre, l’orgueil d’une mère agenouillée devant la majesté du sacerdoce dont son enfant a reçu l’onction. Une passion irrésistible se glisse cependant dans le cœur de cet infortuné ; il aime une jeune fille, sa compagne d’enfance, qui répond à cet amour sans s’en rendre bien compte : et il trouve des accens pénétrans pour déplorer sa faiblesse : « A mon aide, mère, dit-il, reprends ce que tu m’as donné… Supprime en moi l’homme de chair, afin que je devienne en vérité l’être divin qui te fait si fière. » Et, s’il faiblit, son châtiment est du moins terrible, car il meurt dans un incendie allumé par sa propre main, après avoir causé la fin de sa mère. Rosegger n’a pas gardé toujours une pareille modération[2], et, sans insister sur des pages qu’il regrette probablement lui-même, comme certains indices nous portent à le croire, nous dirons qu’il y a souvent couru risque de faire un tort irréparable à cette bonne foi religieuse des humbles dans laquelle il assure pourtant révérer un inestimable trésor.

Nous l’avons indiqué, notre écrivain fut sans doute engagé dans la campagne de représailles que nous venons d’esquisser par quelque allusion à la sensualité de sa plume. C’est donc ici le lieu d’examiner un reproche qu’on lui a présenté parfois dans sa patrie. A nous autres Français, qui avons le palais singulièrement blasé sur ce genre d’épice, le poète de la Styrie apparait d’ordinaire comme un prodige de réserve et de chasteté. Lisons

  1. Meine Ferien.
  2. Voir Hoehenfeuer, Das Hacherl, Allerhand Leute, « Mon ami Franz ; » Buch der Novellen, II, « Mathieu Hellbert, et III, Jean le Favori, ou Marie dans la Misère. » Hoch vom Dachstein, « l’Amour ne se laisse pas duper. » Allerlei Menschliches, » le Cheval boiteux, etc. » L’Allemagne s’est toujours montrée particulièrement inquiète en cette difficile question, et les papes, depuis saint Grégoire le Grand jusqu’à Grégoire XVI (1832), ont dû plus d’une fois rappeler à l’ordre un clergé peu soumis.