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colonnes de sont tournées en troncs d’arbres. Le chaume nous cache l’étoile. La faux de la critique a coupé les iris, les lys et les ancolies qui croissaient en plein hiver devant le Bambino. Les nimbes ont pâli. Les anges ont fui. Les musiques se sont tues. Rien ne flotte plus dans le ciel que des nuages. Rien ne chante plus dans la toiture que le vent. Rien ne brille plus autour des têtes que du soleil. Mais la Nature immortelle élabore autour de nous, et tous les jours, des miracles dont les artistes peuvent profiter encore. Elle sait mettre des nimbes de lumière autour des têtes blondes. Elle sait peindre des fleurs de feu sur les nuits d’hiver et lorsque viennent les vents d’automne, ils font pleuvoir sur les enfans de France, dans les jardins et les parcs de notre pays, plus de roses que les anges, du bout de leurs doigts retombans, n’en effeuillent sur l’Enfant-Dieu dans les florentines Adorations de Filippino Lippi…

Ainsi, le charme esthétique de ces choses résiste à toutes les évolutions du sentiment et de la raison. La beauté du christianisme est faite de son humanité. Tout enfant qui naît sur ce globe, depuis tant de siècles, assure, en quelque sorte, le salut du monde. Beaucoup l’ont désolé, l’ont asservi, l’ont couvert de ruines et de cadavres. Mais le plus grand nombre, les milliards de vies obscures qu’ignore l’Histoire ont fait leur tâche utile et ont préparé le labeur ascensionnel de l’espèce. La conscience populaire le sent confusément, ou le devine. De là, cette joie, autour de l’Enfant qu’on montre, qu’on fête, qu’on célèbre comme le sauveur. Fête surnaturelle ou humaine, peu importe. Quand nous ôterions de la Nativité son nimbe, il resterait une jeune mère ravie de bonheur devant son petit enfant. Quand il n’y aurait pas de lumière divine, la joie illuminerait encore son visage devant l’Enfant adoré. Quand les voisins ne joindraient pas les mains de piété, ils les joindraient d’admiration Quand on effacerait l’étoile du ciel qui les guida, on n’effacerait pas les millions d’autres sphères tout, aussi mystérieuses et providentielles qui guident, chaque nuit, les navigateurs au port. Toutes ces choses évoquent les idées les plus largement humaines et les plus éternelles. Tant qu’il y aura des hommes sur cette terre, on trouvera un sens profond et un charme infini au tableau d’une Nativité.


ROBERT DE LA SIZERANNE.