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des vignes, au bout des eaux serpentines et du long ruban blanc des routes, l’amateur d’architecture peint la ville aux mille fenêtres, les palais ou les châteaux encore debout, mais que le souffle divin va renverser, la civilisation triomphante et la société organisée que la Bonne Nouvelle va dissoudre. Ces villes heureuses dans la lumière ne l’ont pas entendue. Elles poursuivent leur vie coutumière sous ces toits lointains. Personne ne se doute de l’événement qui s’accomplit. Les sages disent : Il ne viendra plus de prophètes ! le monde est trop vieux ; les mystères de Mithra sont les derniers. Platon, Pythagore ont tout dit. Le ciel ne visite plus la terre. Les dieux se sont retirés. Et voici qu’à côté d’eux, dans le village, le Sauveur naît. Le salut vient du milieu même du peuple, des plus basses classes et des plus ignorantes, là où les philosophes d’aujourd’hui et de toujours n’iront jamais le chercher. Le peuple a entendu le premier, et le premier a compris la voix des anges. Ce sont les plus ignorans qui savent. Ce sont les moins clairvoyans qui voient. C’est pourquoi, dans l’Esthétique des Noëls, la meilleure place est faite à l’Adoration des Bergers.

Derrière eux, voici venir la file serpentante et multicolore des Rois Mages, Galgalat, Malgalath et Sarathin. Ils ont des chapeaux extraordinaires, audaflieux compromis entre le bonnet pointu de l’astrologue, la couronne du Roi et le turban de l’Emir. Parfois encore ce triple serre-tête se complique du nimbe des saints. Ainsi surmontés, ils s’en viennent tout harnachés, matelassés d’orfrois, guillochés et rutilans de clous d’or parfois appliqués sur le tableau en relief, comme chez Gentile da Fabriano. Derrière eux, piaffe et cavalcade toute la fantaisie des artistes de la Renaissance, toute la faune que les Médicis offraient aux Rois en visite, tout ce que les portes ouvertes sur l’Orient laissaient passer ou imaginer de ces animaux bizarres encore mal connus, « propres, selon le mot de Le Brun, à débaucher l’œil du spectateur, » et mieux encore des nains, des bouffons, des fous, tout l’attirail des cours de la Renaissance déroulé en un long serpent brillant qui se glisse entre des rochers minuscules taillés à facettes comme des cristaux de Bohême, sous des pins dressés comme des têtes de loup au bout d’un bâton pour nettoyer le plafond bleu du firmament ou des cyprès effilés comme des lances,

Longs soupirs de feuillage élancés vers les cieux.