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Dans cette vision admirable due au maître ouvrier qui passait tant de temps à chaque tableau, qui broyait ses couleurs lui-même et lui-même distillait ses huiles, nul effort, nulle contrainte. Une science merveilleuse de lignes bans que rien apparaisse à l’extérieur, comme dans un triptyque de Palestrina.

Cette tendresse des Primitifs se répand également sur toutes les choses animées ou inanimées autour d’elle. Dès que la peinture paraît, la nature joue un grand rôle dans la Nativité. Le paysagiste, s’il en est un dans l’artiste, a le droit de s’y donner carrière. Car toute la nature, les arbres, les animaux, les pierres elles-mêmes ont ressenti le premier souffle du Seigneur venant en ce monde. Les temples se sont écroulés, les animaux se sont agenouillés, les vignes ont fleuri en plein hiver. Au bas du firmament pend une étoile qui chemine lentement en ligne droite dans les airs et l’on dit que les oiseaux, un instant, se sont tenus par bandes sans mouvement, les ailes ouvertes dans le ciel. Quelle occasion pour l’artiste de peindre le cycle entier de la vie universelle ! Nous sommes précisément au moment où il apprend chaque jour mieux à la peindre. Après avoir acquis la maîtrise complète dans la représentation de la figure humaine, voici que, jour par jour, il découvre le moyen de figurer un animal de plus : le cheval, le faucon, le héron, le singe ; de perspectiver un détail d’architecture : un portique corinthien ; de détailler une touffe d’iris ou de lierre, un lapin, un paon, un perroquet. Il les met dans le tableau de la Nativité, incontinent. Cela amusera peut-être l’Enfant Jésus et, dans tous les cas, cela réjouira le cœur de l’artiste tout joyeux de montrer son savoir-faire, tout émerveillé de l’inépuisable fête de la nature autour de lui. De là sont nés ces paysages chimériques et splendides, ces rochers abrupts découpés de mille sortes, selon l’idée de la montagne qu’on se faisait depuis Dante et qui s’exprime à tout, moment par les mots erto, sconcio, stagliata, maligno, duro, rotto. De là, ces montagnes bâties comme des fourmilières, ces villages, cette colline turrita, rocca chez Benozzo Gozzoli, ces forêts, ces chevreuils, ces cerfs fuyant sous les futaies en couchant leurs ramures, ces faucons assaillant des hérons dans le ciel, ces lapins trottant dans les ruines qui ont donné asile à Dieu, ces iris et ces touffes d’herbes folles qui croissent dans toutes les fentes des vieux murs de Durer, de Schongaüer ou de Luca Signorelli. De là, enfin, cette immense queue d’un grand paon rabattue sur l’étable