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lanterne, le maître de Flemalle et quelques Allemands, d’une chandelle. D’autres le mettent délibérément hors du tableau. Heureux quand Durer n’imagine pas de le montrer écrasé de sommeil, les coudes sur la table, près du pot de bière dont il a certainement usé, — et peut-être abusé, — dans la posture d’un buveur assoupi ! Seul, peut-être, de tous les grands artistes, Cima da Conegliano lui donne un rôle défini : Joseph prend les bergers par le bras et les introduit auprès de l’Enfant-Dieu. Avec les Maîtres de la Renaissance, il se livre à des gestes d’étonnement. Il ouvre de grands bras chez Tiepolo, dans l’admirative attitude d’un gros moine mendiant qui voit arriver une grasse provende. Ainsi, sa destinée dans la peinture a été d’abord de prier, ensuite de méditer, et enfin de s’étonner des visiteurs véritablement extraordinaires qui remplissent de turbans, de chameaux, de chiens, de nains, de bouffons, de chimpanzés et de tumulte la paisible grotte de Bethléem. — Les voici justement qui arrivent.


II

Ce sont d’abord les Bergers. Ils sont à chaque époque ce qu’à cette époque l’art veut que soient les paysans. Pendant les longs siècles où la vie rurale n’avait pas de peintres attitrés, les Millet et les Breton d’alors saisissaient l’occasion qui leur était donnée par Noël, et, lorsqu’ils avaient à dire quelque chose des paysans, ils le disaient là. C’est frappant surtout chez les peintres du Nord. Ils font comme leurs confrères, les auteurs de Mystères qui s’emparent du recensement d’Auguste, des impôts romains et de la détresse du pauvre saint Joseph obligé de vendre son bœuf, et en profitent pour dire tout ce qu’ils ont sur le cœur. Ce sont de rudes bonshommes les Bergers de Jean Fouquet ou d’Hugues de Gand. A mines peu avenantes, déplaisantes à rencontrer au coin d’un bois, ivrognes à l’habitude, pillards à l’occasion, frères de ce Mak des mystères de Woodkirk qui, en pleine nuit de Noël, vole un mouton à ses camarades et, le cachant près de sa femme, dans des langes, veut le faire passer pour son nouveau-né. Maio ce sont d’admirables types humains. Regardez surtout les trois pauvres hères du retable de Santa Maria Nuova à Florence : toute la misère, toute la grossièreté, toute l’avidité du paysan au moyen âge est là. Et c’est du réalisme pur. Mais là