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L’ESTHETIQUE DES NOËLS. 807 de quelque catéchumène creusait les plis de ses langes en manière de ficelles sur un sarcophage chrétien. Jadis, les peintres, tout heureux d’avoir une occasion de peindre les gestes de l’enfance, ont déployé dans les figures de l’Enfant Jésus toute leur science des carnations enfantines et de sa myologie. Dès sa naissance, ils le montrent joyeux, plein de vivacité, envoyant des baisers à sa mère. « Voyez comme le Bambino jouait des jambes dans la paille ! » Ce mot de Jacopone di Todi décrit tout Bambino des Nativités depuis Lorenzo di Credi jusqu’au Pinturicchio. Il essaie ses jambes. Plus tard, quand il a deux ans et qu’il reçoit les Rois Mages, le peintre l’invite à toutes sortes de jeux. Il ouvre le ciboire que lui présente Melchior pour voir ce qu’il y a dedans. Il se suspend à la laine du mouton que lui apporte le berger. Il explore le gros crâne chauve du mage prosterné, comme un écolier cherchant sur une mappemonde la place d’un pays inconnu. Ou bien il fourrage de son petit bras jusqu’au coude dans la cassette pleine de pièces d’or frappées à l’effigie de Térah, le fils d’Abraham, que lui présente Gaspar. A mesure qu’on s’avance dans le XVIe siècle, son geste se fait moins espiègle. On peint moins l’Enfant que le Dieu. Sa main ne joue plus, elle se lève et bénit. C’est un petit Roi grave ou un petit évoque amusé.

Au XVIIe siècle, il redevient enfant. Le Corrège, Rubens, Rembrandt, Luis de Vargas le peignent vagissant, faible, nouveau-né. Enfin, de nos jours, il gît minuscule, sur un coussin, chez James Tissot, enveloppé dans ses langes chez Flandrin, pressé sur le sein de sa mère chez Burne-Jones et chez M. Lerolle, image de la faiblesse et de la souffrance qui commence pour lui comme pour tous ceux qu’il vient consoler. — « Pleure, Enfant-Dieu, dit Willette, tu as trente-trois ans à vivre parmi les hommes ! » Ce que l’humoriste a brutalement exprimé dans ces mots est contenu dans les plus sévères et les plus belles pages de l’art contemporain. Dès la Nativité, la Rédemption commence et les Anges que Burne-Jones appelle au pied du lit de la Vierge ne portent pas des présens, mais bien une couronne d’épines, un calice, et des clous, symboles de la dernière étape de sa vie. Ainsi, l’Enfant, insoucieux des Nativités florentines et l’Enfant-Roi des Adorations des Mages ombriennes est redevenu le pauvre être qui a faim, qui a froid, qui s’essaie à vivre, péniblement, parmi nous. Son activité enfantine a constamment