Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/721

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était à l’ordre du jour. Quant à continuer de cultiver, si on nous permet le mot, des rapports de mauvais voisinage avec le Siam, uniquement pour le plaisir et par pur amour de l’art, en vérité cela n’était pas à conseiller. Nous comprendrions notre parti colonial s’il concluait qu’il faut faire la guerre au Siam ; qu’il faut lui reprendre les provinces d’Angkor et de Battambang et les restituer au Cambodge ; qu’il faut lui imposer par la force le respect de toutes nos prétentions. Ce serait là une politique ; elle serait bonne ou mauvaise suivant les goûts ; en tout cas, elle serait logique, pourvu toutefois qu’on appropriât les moyens au but à atteindre. Mais le parti colonial déclare bien haut qu’il ne veut pas la guerre, et alors nous ne le comprenons plus très bien. Il veut, dit-il, un autre traité, un bon traité ; et, nous aussi, nous serions bien aises d’avoir un traité encore meilleur ; mais pourrions-nous l’avoir par des moyens purement diplomatiques ? Rien n’est plus incertain, et nos doutes à cet égard sont confirmés par l’essai malheureux que M. Doumer, lorsqu’il était gouverneur général de l’Indo-Chine, a fait d’une autre négociation et d’un autre traité avec le roi de Siam. Quand bien même son traité ne se serait pas démoli derrière lui, — il avait à peine quitté Bangkok que le roi a déclaré qu’il y avait eu méprise et qu’il n’avait pas fait les concessions que M. Doumer avait cru obtenir, — il n’en resterait pas moins vrai que son traité ne valait pas mieux que celui de M. Delcassé ; il valait même moins, et lui-même pourtant le déclarait « inespéré. » Il nous semble donc qu’on ne met pas assez, nous ne voudrions pas dire de sincérité, mais de sang-froid dans la manière dont on parle du traité du 7 octobre. Nous ne le discuterons pas, au moins aujourd’hui, dans ses détails : cela, d’ailleurs, a été fait partout, et ici même par M. Le Myre de Vilers. Contentons-nous de dire que, si l’on ne veut pas de ce traité, il faut renoncer à l’usage de moyens purement pacifiques, et avoir le courage ou la bonne foi de l’avouer.

Au surplus, les traités ne peuvent être définitivement jugés qu’à l’épreuve. Si le Siam exécute celui du 7 octobre dans l’esprit où il a été rédigé, s’il tient ses promesses fidèlement, s’il s’applique à vivre avec nous comme un bon voisin, le traité durera ; dans le cas contraire, il aura une vie très courte, et ne sera bientôt plus qu’un morceau de papier. On assure que c’est duperie certaine d’avoir confiance dans une nation asiatique quelconque, et dans le Siam en particulier ; que la cour de Bangkok abusera du nouveau traité, s’il est ratifié, comme elle a abusé de l’ancien ; que les Siamois ont une autre mentalité que la nôtre, et qu’il est naïf de les juger d’après nous-mêmes.