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lui avions interdit d’entretenir des forces militaires. Nous continuions d’occuper Chantaboun, ce qui était une blessure toujours cuisante à son amour-propre. La mauvaise volonté, à Bangkok, avait atteint contre nous des proportions presque inconnues auparavant. En un mot, nous vivions avec le Siam sur un pied qui n’était ni la paix, ni la guerre, mais qui n’avait aucun des avantages de l’une et avait tous les inconvéniens de l’autre. Nous ne jouissions, en effet, ni de la tranquillité et de la sécurité, au moins provisoires, qu’une paix véritable aurait pu nous donner, ni des profits que nous aurions pu retirer d’une action militaire vive et rapide. Cette situation était absurde, et il est surprenant que nous y soyons restés neuf années sans rien tenter pour la faire cesser : — ou plutôt, nous avons bien fait l’arrangement de 1896 avec l’Angleterre, mais nous ne nous en sommes pas servis. A voir les embarras de toutes sortes qui sont sortis du traité de 1893, on s’est demandé s’il n’avait pas eu précisément pour objet de les faire naître, afin de maintenir entre le Siam et nous une tension de rapports dont nous aurions pu profiter quand cela nous aurait plu. M. Le Myre de Vilers s’est défendu de toute arrière-pensée de ce genre, et il convient de lui en donner acte ; mais les conséquences d’un traité sont souvent indépendantes de la volonté de son auteur, et il est incontestable que celles du traité de 1893 ont été ce que nous disons. Il fallait donc sortir de manière ou d’autre de l’impasse où nous étions engagés. Si l’on voulait en sortir par la guerre, l’inexécution du traité de 1893 nous fournissait vingt prétextes à invoquer. Si l’on voulait en sortir par la paix, il fallait faire un autre traité, mais ne pas s’attendre à ce qu’il nous donnât tous les avantages d’une guerre heureuse. M. Delcassé a pris la seconde résolution, et il a fait le traité du 7 octobre. Aussitôt le parti colonial, qui est chez nous très ardent, très remuant, et qui y rend d’ailleurs des services que nous ne contestons en aucune manière, le parti colonial a poussé les hauts cris. Il a proclamé avec indignation l’insuffisance du traité. Ce qui nous étonne, c’est que, pendant les six années qui se sont écoulées depuis 1896 jusqu’à maintenant, il n’ait rien fait ni rien dit pour encourager notre gouvernement, l’Angleterre ayant été désintéressée d’un autre côté, à agir énergiquement et rapidement dans la vallée du Mékong. Il s’est tenu parfaitement tranquille, comme notre gouvernement lui-même, et a dès lors un peu perdu le droit d’adresser à celui-ci les seuls reproches qu’il aurait pu lui faire avec raison.

Aussi M. le ministre des Affaires étrangères a-t-il pu croire, ce qui était conforme à son désir personnel, que la conciliation avec le Siam