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de direction et d’esprit de suite. Rarement les bureaux de Paris possèdent les connaissances suffisantes pour tracer aux agens un programme de conduite défini. La métropole, qui trop souvent intervient maladroitement dans les moindres détails de personnel et d’administration locale, laisse à ses gouverneurs une entière indépendance quand il s’agit de questions vitales. Ces hauts fonctionnaires, absorbés par d’autres soins, ne connaissent qu’imparfaitement les intérêts internationaux dont la défense leur est accidentellement confiée ; ils subordonnent leurs actes à la prospérité de leur colonie et se laissent influencer par leur entourage et leurs administrés. Ces braves gens qui rêvent d’une plus grande France, animés d’un ardent patriotisme surexcité encore par le climat tropical, n’admettent pas de transactions et réclament des solutions complètes, immédiates. A leurs yeux, la temporisation devient faiblesse ; au moindre incident, ils se découragent et préconisent un changement de méthode ; le recours aux armes leur paraît le meilleur argument sans qu’ils se préoccupent des conséquences.

Nos agens de Bangkok ont-ils apporté suffisamment de modération et de fermeté dans l’application des dispositions de l’article 4 de la convention annexe, relatives aux protégés ? Nous avons lieu d’en douter. Depuis 1893, en dix années, nous avons eu au Siam six chargés d’affaires et de nombreux intérimaires, la plupart de ces derniers inexpérimentés ! Aucun ne parlait le siamois. Les uns se sont montrés trop exigeans, les autres trop faibles, suivent en cela les instructions du département dont l’attitude a varié. Aussi les réclamations les mieux fondées n’ont-elles pas abouti. Il en est résulté une situation tendue que la presse a aggravée par des critiques parfois injustifiées. Ainsi les troubles survenus dans la zone réservée des 25 kilomètres ont été représentés comme une entreprise contre nous, tandis que les Siamois furent victimes d’une rébellion qui coûta la vie à un grand nombre de leurs soldats.

Plusieurs journaux se sont plu à énumérer les fonctionnaires européens, anglais, danois, allemands, italiens, belges, à la solde des Siamois, et ont vu une preuve manifeste de mauvais vouloir dans l’exclusion presque complète de nos compatriotes.

Peut-il en être autrement ?

Notre race ne produit plus de ces fils de famille, aventureux, ambitieux, décidés à faire fortune sans trop se préoccuper des