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mobiles : ils sont lents dans l’acide sulfurique et la glycérine. Dans l’eau, un grain d’un demi-millième de millimètre de diamètre parcourt, dans une seconde, dix à douze fois sa propre longueur.

Le fait que le mouvement brownien se manifeste dans des liqueurs qui ont bouilli, dans des acides et des alcalis concentrés, dans des solutions toxiques (et à toute température), montre bien que le phénomène n’a point de signification vitale. Le mouvement brownien n’est lié à aucune activité vivante proprement dite.

Le caractère le plus remarquable du phénomène, c’est sa permanence, sa durée indéfinie. Le mouvement ne cesse jamais : la particule n’arrive jamais au repos, à l’équilibre. Les roches granitiques contiennent des cristaux de quartz qui, au moment de leur formation, ont enfermé, dans une cavité parfaitement close, une goutte d’eau dans laquelle s’est trouvée incluse une bulle de gaz. Ces bulles, contemporaines des âges plutoniens, n’ont pas cessé, depuis lors, de manifester le mouvement brownien.

Quelle est la cause de cette éternelle oscillation ? Est-ce la trépidation du sol ? Non. M. Gouy voit le phénomène persister loin du tumulte des villes, dans des conditions où le miroir de mercure du séismographe ne décèle aucune vibration du sol : il ne le voit pas s’accroître lorsque ces vibrations apparaissent et deviennent très appréciables. Rien ne change non plus, si l’on fait varier la lumière, le magnétisme, les influences électriques, en un mot, les circonstances extérieures. Et l’observation aboutit donc à nous mettre en présence de ce paradoxe d’un phénomène qui s’entretient et se perpétue indéfiniment au sein d’un corps, sans cause extérieure connue.

Lorsque nous prenons dans nos mains une lame de quartz à inclusion gazeuse, nous croyons manier un corps parfaitement inerte. Lorsque nous l’aurons posé sur la platine du microscope, et que nous aurons constaté l’agitation de la bulle, nous serons convaincus que cette prétendue inertie n’est qu’une illusion. Le repos n’existe, en apparence, que pour les parties du corps assez grosses pour être distinguées à l’œil nu. Un corps visible quelconque est un amas de molécules ; c’est une foule. Nous le voyons comme nous voyons de loin une foule humaine. Nous n’apercevons que l’ensemble sans pouvoir discerner les individus et leurs mouvemens. Nous avons l’impression d’une masse indivisible, d’un bloc au repos. Mais, dès que la lunette nous rapproche de cette foule, dès que le microscope nous révèle les petits élémens du corps brut, ceux qui ont moins de quatre millièmes de millimètre, alors, nous constatons l’existence des parties