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On dirait, quand parfois songe leur front serein,
A les voir arrêtés, tels que des bœufs d’airain,
Sans redouter des taons la cruelle piqûre,
Que de leur rêve émane une tendresse obscure.
Leur robe aux poils lustrés et leur labeur jumeau
Resteront la légende intime du hameau.
De seuil en seuil le couple énorme est populaire,
Et l’enfant, et l’aïeul, qu’une aube rose éclaire
Ou qu’enveloppe un soir miséricordieux,
Les vénèrent, ainsi qu’en eussent fait des dieux
Ces hommes qui, venus vers le Nil aux eaux calmes,
Des hauts palmiers ont vu jadis frémir les palmes.


II. DERNIERS RAYONS


L’Occident taché d’or rouge, où vient de descendre
Un pur soleil, de qui les vestiges pourprés
Eclaboussent les bois, les landes et les prés,
S’éteint, comme noyé sous une fine cendre.

Tout, par degrés, au loin s’efface, enseveli ;
Et le silencieux paysage, qu’éclaire
Encore la douceur du flux crépusculaire,
Sombre dans le repos qui ramène l’oubli.

Seul, au creux d’un vallon que la pénombre gagne,
Sans broncher conduisant l’attelage en sueur,
Un homme qui s’attarde à la pâle lueur,
Comme un errant fantôme, anime la campagne.

Les bœufs puissans, les bœufs fauves qu’il accoupla
Ont-ils quelque ferveur pour cette œuvre sacrée ?
Tels les trouve l’aurore en leur force qui crée,
Tels inlassablement robustes, les voilà.