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une femme debout sur le trottoir en planches. Celle-ci a un chapeau garni de velours et de plumes, une robe noire, et, au côté, un réticule d’où sort un mouchoir de dentelle. Elle n’est plus jeune et elle porte des lunettes, mais il y a je ne sais quoi de nerveux dans ses manières, et, lorsqu’elle répond au camionneur, un léger trémolo dans sa voix qui révèle une personne en quête d’aventures. Puisque le trottoir conduit inévitablement à la fabrique, nous devons avoir elle et moi un but commun, ce qui nous autorise à lier conversation. Simultanément nous nous demandons :

— Vous allez chercher de l’ouvrage ?

Mon interlocutrice, très pressée de répondre, secoue son mouchoir de dentelle en expliquant :

— Oh ! je n’ai pas besoin de travailler ; mes parens tiennent un hôtel ; mais j’ai toujours tant entendu parler de Perry que j’ai eu envie de le voir, et… — avec un soupir qui accompagne drôlement le regard satisfait qu’elle promène à la ronde sur les rangées de maisons en planches, — et j’y suis maintenant.

— Vous voulez une pension ? crie l’obligeant camionneur. Je vous indiquerai un bon endroit… le docteur Meadows. Il a de la place pour plusieurs pensionnaires.

La dame entre deux âges lui jette un regard rapide :

— Le docteur Meadows ? Je le connais, un ministre méthodiste… Plus souvent que j’irai chez un homme aussi strict… On ne s’amuse pas chez lui !

Arrivées à la fabrique, nous trouvâmes très vite, comme partout, l’ouvrage que nous demandions. On promit de nous placer le jour même, et, sur les planches qui continuaient de s’aligner le long des rues, nous nous dirigeâmes vers le logement qui nous avait été indiqué. Aux deux coups frappés à la porte d’une maison de bois, répond une femme qui nous accueille avec la cordialité des campagnards de ces parages pour qui chacun est un voisin et tout étranger un pensionnaire possible. La maison, sans cheminée qui l’égayé, a, en revanche, dans le salon, un grand poêle dont les bras noirs portent de la chaleur à travers le plafond et le plancher. Dans la salle à manger le couvert est mis. Posée sur un support contre le mur, une horloge au tic tac bruyant, à la sonnerie enrouée, marque l’heure et, de la cuisine, qu’on aperçoit, arrive un bruit grésillant de victuailles en train de frire. Notre hôtesse nous promet la table