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énergie, « ce cœur, » comme disait le contremaître, qui prête de la dignité aux droits de l’homme.

Dans tous les cas qu’il m’a été possible d’éclaircir, la mère ne travaillait jamais lorsqu’il y avait des fils ou un mari dans la famille : elle était soutenue entièrement par eux. Dans les familles où le père et les frères gagnaient assez pour suffire au pain quotidien, les filles étaient, au moins partiellement, défrayées ; quelquefois elles l’étaient tout à fait. Cette protection accordée à la femme, protection volontaire, puisque aucune loi ne la prescrit ; ce secours spontané, offert même à celles qui pourraient se suffire, me paraissent très significatifs. Ils tendent à prouver que la femme, pour des raisons physiologiques, et dans l’intérêt de la race, est destinée par la nature et par la société à un état de dépendance économique.


II. — PERRY

Le choix de ma seconde tentative fut déterminé par le désir d’observer les Américains de naissance et l’envie de faire connaissance, en dehors des heures de travail, avec la vie domestique, religieuse, sociale et sentimentale de l’ouvrière de fabrique.

A cet effet, je partis pour Perry, un petit village près de Buffalo, quelque chose entre les établissemens anglo-saxons de la Nouvelle-Angleterre où je n’aurais trouvé que les descendans yankees des puritains anglais et la ville internationale de Pittsburg dont la population se compose de nouveaux venus étrangers. A Perry, j’allais avoir devant moi le vrai type de l’ouvrière américaine, l’arrière-petite-fille de quelque lignée d’immigrans, façonnée pendant plusieurs générations par les influences du milieu.

Une gare en planches, dressée sur des échasses au milieu de l’océan de boue environnant, marque la station. Quand mon train s’est arrêté, quand la locomotive cesse de souffler, que la dernière malle est déchargée, il n’y a plus aucun bruit à saisir, sauf ceux de la campagne voisine dont la paix n’est que fort peu troublée, en somme, par l’existence, dans son sein, d’une si petite ville. Un cheval attelé à un buggy fait jaillir la boue sous ses sabots ; une voix monotone se mêle au tic tac régulier de la