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de noir ; et vingt autres facéties analogues. Cela est populaire sans doute et fait songer une fois de plus à quelque récit de veillée, au ton bon enfant et décousu ; mais ce laisser aller jure avec l’art sévère qui marquait le début du roman.

Le drame s’achève, comme nous l’avons indiqué, par la singulière folie de Wahnfred, l’auteur du crime, qui, devenu contre son gré le chef des Jacobins de Trawies, imagine, afin d’imposer un frein à ces égarés, l’institution d’une religion nouvelle, que les faits démontrent si nécessaire à la discipline sociale de la communauté. Utilisant à cet effet la manie qui les a plongés dans l’anarchie, il propose à ses compatriotes le culte officiel du feu des ancêtres, et il bâtit un temple à cet élément. Enfin, ayant reconnu l’impuissance de ce remède suprême, le Chercheur de Dieu se brûle lui-même dans le temple du feu, avec tous les habitans de la vallée maudite. Seul un jeune couple, innocent des folies de ses frères, échappe par miracle à la destruction et s’en ira créer au loin une race nouvelle.

Telle est cette très curieuse inspiration, mêlant les plus belles qualités morales et littéraires de son auteur à tous ses défauts d’origine et d’éducation : l’absence d’ordre et de méthode ; le goût du violent uni au tendre, du sanglant joint à l’attendri, du mystique marié à l’étrange. Et ce sont bien là sans doute quelques-uns des élémens du symbolisme ; mais le maniement de ce procédé poétique est infiniment délicat. Il ne semble pas qu’au-delà du Rhin la première et spontanée tentative en ce sens ait offert un exemple bien supérieur aux suggestions de ces modèles étrangers que les critiques patriotes voudraient voir céder devant elle. Ce n’est pas non plus, croyons-nous, aux pages mal pondérées du Gottsucher qu’il faut demander l’expression des tendances religieuses de son auteur, mais plutôt à l’ensemble de son œuvre ; et c’est la tâche qui nous reste à accomplir pour terminer cette étude.


ERNEST SEILLIERE.