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s’échappe de la sainte blessure vers le vase de l’oblation : il voit le pâle visage du Crucifié se lever au ciel ; Tout est consommé, mon Père, je remets mon âme entre vos mains. »

Cependant la messe, puis le Rorate s’achèvent, et, à la porte de la sacristie où il rentre dans le recueillement, le Père François tombe, la tête fendue d’un coup de hache. Le meurtrier a d’ailleurs disparu si vite, que nul, pas même les initiés, ne l’a vu, ni reconnu.

Peu de temps après, s’assemble à Trawies un tribunal ecclésiastique présidé par le prélat suzerain. Les membres en sont peints sans doute en traits peu sympathiques, mais, à eux aussi, ce que l’auteur reproche ce sont défauts de seigneurs féodaux, que l’Eglise elle-même condamne, tels que goûts de plaisir ou de violence, et nul soupçon n’est élevé sur leur foi ou sur leurs mœurs. Voici en quels termes le gardien du feu, Gallo Weissbucher, vient cependant défendre lacté désespéré de ses compatriotes : « Nous sommes à Trawies des paysans libres de temps immémorial, et nous périrons plutôt que de devenir les valets du bon plaisir. Cet homme nous a foulés aux pieds et insultés sans cesse ; il nous a dénié nos vieux droits sur la forêt et sur les pâturages ; il n’a pas épargné nos moissons ; il a blessé nos antiques coutumes. Fut-ce orgueil, négligence ou mauvais vouloir ? A plus d’un il a refusé les derniers sacremens et le viatique du lit de mort. Ouvrez les yeux : sur ces parois est écrite toute l’histoire de sa vie. Bois de cerfs, fouets à chiens, boutoirs de sangliers, couteaux de chasse, et même, Dieu me confonde, carnassières encore toutes remplies. Là où fut jadis gardé le Ciboire, vous verrez se balancer un épieu ; où l’on trouvait l’Evangile, vous ramasserez un jeu de cartes. Et voilà quel fut notre modèle ? Donnez-nous un maître juste, donnez-nous un véritable prêtre. Nous sommes d’honnêtes gens et de bons chrétiens. »

Encore une fois problème social plutôt que religieux jusqu’ici, et dont la solution serait dans une séparation nécessaire entre le spirituel et le temporel. Même quand le tribunal impitoyable a prononcé la sentence qui sacrifie douze habitans tirés au sort et excommunie la paroisse de Trawies, l’auteur trouve les accens religieux les plus pénétrans pour décrire la procession solennelle qui emporte loin du village maudit le sacrement de l’autel. « Les branches des arbres s’inclinaient sous la neige pesante au passage du cortège majestueux et sombre : les merles et les