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s’étonnera pas trop de rencontrer, sous prétexte de roman, une série des aimables nouvelles qui coulent si facilement de la plume de Rosegger, comme d’une source inépuisable. Car les incidens villageois de chaque jour amènent le personnage, qui est supposé porter la parole, à enchaîner au hasard de sa verve les historiettes humoristiques ou touchantes. L’attention est ainsi soutenue, distraite, et l’on marche d’un pas allègre, au prix de quelques détours en une pittoresque région, vers le point de vue qu’a choisi notre guide afin de nous édifier. On sourit en passant aux épisodes rencontrés souvent déjà dans ses œuvres, car il a de ces thèmes favoris auxquels il revient sans lasser ni lui-même ni ses lecteurs. C’est, par exemple, le soldat déserteur que les gendarmes viennent attendre à son foyer ; le champ couvert de débris rocheux par une avalanche ou par une inondation, mais que le patient travail de son propriétaire va rendre lentement à la culture ; l’orage dans la montagne ; la forêt minée par les insectes rongeurs ou dévorée par l’incendie ; le muet musicien ; l’enfant disparu qui revient homme au village. — Néanmoins, quelques maladresses trop choquantes gâtent parfois le plaisir des délicats, et les conclusions, en particulier, offrent un dangereux écueil au nouvelliste devenu romancier, soit qu’il entasse pêle-mêle, vers la fin, des événemens improbables, qu’on eût au moins voulu voir préparés et amenés par le début ; ainsi des aventures singulières de Waldlilie, qui déparent les dernières pages du Maître d’école forestier ; soit qu’il interrompe, au contraire, l’évolution d’événemens tragiques et entraînans pour insérer quelque banale facétie ; ainsi du dénouement de Martin der Mann, dont nous parlerons tout à l’heure, et qu’alourdit soudain une puérile anecdote[1].

Le récit qui est intitulé Jacob le Dernier échappe à la plupart de ces reproches, parce qu’il n’est véritablement qu’une nouvelle villageoise, dans la forme où l’auteur excelle, et seulement un peu plus développée. Il y met en scène avec une réelle

  1. Elle a été popularisée chez nous par la version de Berquin, l’Ami des Enfans. Un coupable se voit trahi par sa mauvaise conscience ; car un connaisseur du cœur humain, se donnant pour magicien, noircit secrètement de poudre de charbon les plumes d’une poule enfermée dans un panier. Puis il fait défiler dans l’obscurité les auteurs présumés du méfait qu’il s’agit de punir, et les prévient que l’animal poussera son cri au contact de la main du criminel. Or ce dernier se trouvera seul avec la main blanche, pour avoir seul craint le pouvoir magique de la poule.