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Nous allons retrouver plus d’une fois ces efforts, tout ensemble intéressans et infructueux, pour marier la pensée urbaine moderne à des conceptions paysannes presque médiévales, dans les nouvelles plus développées que Rosegger a baptisées du nom de romans. A sept reprises déjà, il a cédé à la tentation d’élargir ainsi le cadre habituel de ses productions, généralement dans une intention réformatrice, afin d’étudier plus à loisir quelque question morale ou sociale, à son avis litigieuse ; et l’examen de ces écrits plus ambitieux, sinon plus achevés que ceux que nous avons appris à connaître déjà, nous fera pénétrer de quelques pas plus avant dans l’intimité de sa pensée.

Nouvelles développées, avons-nous dit, contraint de faire ainsi dès notre première mention une réserve significative à propos de leur exécution technique. C’est que, en dépit de la tolérance ordinaire de l’Allemagne sur ce sujet, depuis que Goethe lui a laissé l’exemple de ses récits décousus et sans plan défini, les romans de Rosegger y ont suscité des critiques pour avoir dépassé tous les précédens par le négligé de leur ordonnance. — Les moins choquans à ce point de vue sont encore ceux qui affectent la forme d’un journal quotidien tenu par le héros du livre : artifice qui est cher à l’auteur, qui lui a procuré son premier succès et auquel il est plus d’une fois revenu.

Les écrits du Maître d’école dans la forêt retracent, nous l’avons dit, la création d’une communauté villageoise dans la montagne, au sein d’une population sauvage et nomade de charbonniers et de bûcherons, qu’un homme de bonne volonté se donne la mission de grouper autour de lui, de civiliser et d’évangéliser, au cours d’une longue vie de dévouement. Sous la même forme se présente encore la Lumière éternelle, journal d’un curé de campagne[1] qui, par une sorte de contre-partie pessimiste au précédent ouvrage, raconte la lente décomposition morale d’un village alpestre, sous l’influence des chemins de fer, des entreprises industrielles, et de l’affluence des touristes bourgeois.

Tel se développe, enfin, ce roman utopique d’Erdsegen (La Bénédiction de la Terre), dernier-né de la série, où nous contemplons la régénération d’un journaliste sceptique, guéri par la vie campagnarde, les rudes travaux des champs et la saine atmosphère de la pensée paysanne. — En tout cela, on ne

  1. M. de Wyzewa a analysé ce livre dans un chapitre de son recueil d’études intitulé le Roman européen, Paris, 1900. Perrin.