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ci de-là, comme si elle eût écrit des mots mystérieux avec l’extrémité. Parfois, il semblait que, de ce bâton, elle cherchât à éloigner doucement quelque importunité. Pourtant, on ne voyait rien devant elle que des tiges de graminées, poussées par hasard en cet endroit… Si l’on s’approchait, on pouvait reconnaître que ses gestes s’accompagnaient d’un murmure, tandis que ses regards erraient capricieusement sur le sol : « Allons, allons, pas tant de presse ; un peu de patience. Tous voudraient venir à la fois ; mais cela ne peut pas être, mes bons amis. L’un après l’autre, s’il vous plaît. Vous arrivez tous ensemble, oui, tous ensemble ; cela ne va pas ainsi. Viens, toi ! il y a déjà si longtemps que tu es dans le poêle ; ta dernière messe a été dite aujourd’hui. — Et toi, là, pas tant de gémissemens ; il te manque encore quelques aumônes, mais après, tu auras fini. Allons, vous êtes vraiment trop à la fois. Patience pour un moment, je vous prie. — Elle parlait d’un ton amical, comme si elle voulait apaiser, consoler, et, pourtant, il n’y avait personne autour d’elle. »

Cette victime d’une douce folie, qu’on appelle la « Stanzel des pauvres âmes, » et qui pense converser sans cesse avec les hôtes du Purgatoire, passe volontiers ses nuits dans le cimetière, pour être mieux à la portée de ses protégés : « Elle était étendue sur un tombeau récent, imparfaitement couverte de mauvais haillons. Elle avait un bras posé sur le tertre, et sa tête se collait au sol comme si elle écoutait : Mon Dieu, soupirait-elle, comme ils gémissent encore aujourd’hui, les pauvres êtres. Chacun appelle à l’aide, et voudrait sortir. Mon Dieu ! Je le crois bien. — Est-ce toi, Catherine Thalbacher ? Tu as mal, bien mal. Sans doute, mon enfant, mais tu n’en as plus que pour trois mois ; après, c’est fini. La Trogerin est bien plus à plaindre ; elle a encore toute une année, et personne ne pense à elle. Hier, je lui ai envoyé sept Notre Père que quelqu’un m’avait confiés pour les âmes abandonnées. C’est à peine une goutte d’eau, il est vrai. — Oh ! cela, c’est la voix du Barnbacher : il crie à fendre l’âme, le pauvre homme. C’est bon, c’est bon ! J’ai déjà fait dire à ton fils de replacer la borne que tu avais reculée à ton profit. Mais c’est un obstiné ; il ne veut rien faire, ni rien savoir de tes tourmens. Barnbacher, voici un peu d’eau bénite pour toi. — Et toi, mendiante Waberl, Dieu merci, tu as fini aujourd’hui même ; un petit effort pour monter ; aide-toi seulement un peu. Personne