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L’ÉTYMOLOGIE ET LA LANGUE FRANÇAISE.

majesté impériale, « schisma est du neutre. » — « Qui dit cela ? » fit l’empereur très mortifié. — « Un Français nommé Alexandre, » répliqua l’interrupteur, voulant parler d’Alexandre de Villedieu, grammairien célèbre, depuis le XIIIe siècle, dans l’Université de Paris. — Et qui est cet Alexandre ? — Un moine, Sire. — Eh bien ! conclut Sigismond, je suis empereur et je pense que ma parole vaut celle d’un moine. » Les empereurs d’Allemagne tranchent volontiers du souverain dans les questions qui n’ont rien à voir avec leur couronne. Mais si le Père du concile de Constance avait raison, Sigismond n’avait pas tout à fait tort. Il était l’interprète du sentiment instinctif qui avait depuis des siècles transformé les neutres en féminin, et la grande voix du peuple parlait par la bouche de cet empereur, opposant un dogme nouveau au dogme ancien, c’est-à-dire proclamant, sans en avoir conscience, le grand principe de révolution qui domine l’histoire de l’homme.


IV

Le langage est essentiellement le signe de l’idée. En face de la phonétique, qui étudie le son, c’est-à-dire le signe, vient se placer la sémantique, qui étudie le sens, c’est-à-dire l’idée. C’est à M. Michel Bréal que nous devons ce terme de sémantique, plus court et plus élégant que celui de sémasiologie, qui a d’abord eu cours en Allemagne[1]. La sémantique a la même méthode que la phonétique : elle s’appuie sur l’observation et s’efforce d’établir une classification. Mais l’objet de son étude est si différent qu’elle ne peut se flatter d’arriver à des résultats aussi précis. Si vous donnez à un phonétiste un mot latin et si vous lui demandez sous quelle forme le mot survivra en français, il vous répondra avec autant de précision que pourra en apporter un chimiste à vous prédire ce que deviendra un morceau de sucre placé dans un verre d’eau. Ne posez pas une question de ce genre au sémantiste ; vous le mettriez dans un cruel embarras. Il peut vous faire comprendre, à force de comparaisons, comment un mot arrive à prendre un sens fort éloigné de celui qu’il avait à l’origine, il ne peut vous marquer d’avance le terme nécessaire de cette évolution ; il peut expliquer, il ne peut pas prévoir. Il y a des lois

  1. Essai de sémantique (science des significations). Paris, Hachette, 1897.