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L’ÉTYMOLOGIE ET LA LANGUE FRANÇAISE.

donner raison à Diez. Le portugais n’est-il pas la seule langue romane qui rende régulièrement le son latin cl, en position initiale, par le son ch, prononcé comme le ch français ? Mais consultons l’histoire. Que nous apprend-elle ? Que notre mot chamade date du XVIe siècle, car D’Aubigné l’emploie et Cotgrave l’enregistre dans son dictionnaire, paru en 1611. Or, avons-nous eu, au XVIe siècle, des relations militaires avec le Portugal assez prolongées pour rendre vraisemblable un emprunt à la langue portugaise ? En aucune façon. Chamade forme bloc avec tant d’autres termes militaires qui nous sont venus d’Italie à la même époque, et Ménage a raison de le tirer de l’italien. La première génération française qui a employé ce mot l’a écrit d’abord chiamade et l’a prononcé à l’italienne en faisant sonner chi comme le français qui ; puis il y a eu une réaction de l’orthographe sur la prononciation, et nous avons dit chamade, comme nous disons niche, nocher et supercherie, bien que ces trois derniers mots aient un chi en italien.


III

L’étude des sons ou phonétique a beaucoup préoccupé nos premiers étymologistes. Du Bois, Meurier, Nicot, Ménage nous ont laissé des ébauches de traités sur la matière ; mais leurs travaux n’ont plus pour nous qu’un intérêt de curiosité. Il n’en est pas de même de l’œuvre de Diez, que l’on consultera toujours avec fruit. Pourtant il faut reconnaître que des progrès considérables ont été faits dans la seconde moitié du XIXe siècle. La phonétique historique a été renouvelée par l’enseignement et par les livres d’une élite de maîtres français et étrangers, parmi lesquels M. Gaston Paris et Paul Meyer, et le regretté Arsène Darmesteter ont droit à une place d’honneur. La phonétique expérimentale, poussée à un rare degré de précision par M. l’abbé Rousselot et ses disciples, est venue nous faire toucher du doigt, pour ainsi dire, les causes de la plupart des phénomènes dont l’observation nous avait révélé les effets. Ce dernier ordre de recherches, il est vrai, ne nous intéresse pas directement. Au point de vue du progrès étymologique, il y a plus à attendre de la publication des anciens textes, de la rédaction de bons dictionnaires patois, locaux ou provinciaux, et de l’achèvement du monumental Atlas linguistique de la France entrepris si vail-