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catarrhe, je trouve moyen de faire un extra de mauvais sang avec la révolution d’Espagne. Voilà encore un pays qu’on me gâte. Je pensais souvent autrefois à y porter ma vieille carcasse pour finir doucement au milieu des fredons de guitare. Voilà qu’on y réchauffe toutes les platitudes, qu’on y exhume tous les vieux oripeaux de nos ex-républiques. Le monde est-il assez bête ! J’entends dire tous les jours qu’il est méchant, corrompu, blasé ; non, il est bête, archibête ! Je ne sais si vous jetez quelquefois les yeux sur un journal espagnol. Il me semble que les niaiseries françaises, les sesquipedalia verba révolutionnaires déjà si ridicules dans la langue qui les a inventées, le deviennent cent fois plus en castillan. Au reste, je ne serais pas surpris que lorsque vous reviendrez en Europe vous ne trouviez don Carlos sur le trône de ses pères et l’Inquisition rétablie. Adieu, cher monsieur, encore une fois bon voyage, si voyage il y a. Je conserve quelque espoir. Si vous pouvez au milieu de vos affaires trouver cinq minutes pour m’écrire ce que vous faites, vous ferez une œuvre méritoire. Je vous quitte pour me plonger dans l’Aphroëssa.


Cannes, 13 janvier 1809.

Cher Monsieur,

J’aurais dû vous écrire depuis longtemps, mais j’ai été souffrant et de plus garde-malade. Mlle Lagden est au lit depuis une huitaine de jours et nous a donné beaucoup d’inquiétudes. Elle est un peu mieux et sa maladie, qui nous faisait craindre une fièvre typhoïde, a pris un caractère moins alarmant. Cependant comme elle est très mauvaise malade et qu’elle a pour habitude de ne jamais penser à elle-même, nous sommes obligés, sa sœur et moi, de la surveiller très rigoureusement et d’avoir vingt querelles par jour pour obtenir qu’elle prenne des médicamens et qu’elle se tienne un peu tranquille.

J’ai lu l’Aphroëssa. Vous savez que je ne suis pas juge en matière de poésie, ainsi ne faites aucun cas de mes critiques, ou plutôt de ma critique, car je n’en ai qu’une. Vos petits poèmes sont bien composés à mon avis, mais je trouve qu’ils ne sont pas écrits avec la langue qu’ils comportent. Vous avez dans vos plans une grande simplicité, et je vous en loue. Cela est grec et bien ; mais pourquoi, lorsque vous prenez la manière d’un poète des anciens temps, vous servez-vous de la langue moderne et de