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L’ÉTYMOLOGIE ET LA LANGUE FRANÇAISE.

haut que l’étude du langage, si on la considère du point de vue étymologique, ne peut à aucun titre être rattachée aux sciences de la nature. L’étymologie n’est qu’une branche de la philologie ; c’est une science essentiellement historique, et la seule méthode qui lui convienne est la méthode historique. Quel que soit le domaine linguistique où elle s’exerce, elle ne pourra arriver à se constituer qu’en étudiant comparativement et contradictoirement la succession historique des faits, des sons, des idées. Toutes ses données se ramènent facilement et clairement à l’une de ces trois divisions. Je voudrais montrer, — sans sortir du cadre du vocabulaire français, — comment l’étymologiste doit se comporter vis-à-vis de chacune d’elles.


II

Par les faits j’entends l’histoire proprement dite sous ses multiples aspects. Max Müller, tout porté qu’il était à inscrire l’étude du langage dans le cercle des sciences naturelles, est bien obligé de convenir que « si nous parlons du langage de l’Angleterre, une certaine connaissance de l’histoire politique des Iles Britanniques nous est nécessaire. » Ce n’est pas assez dire. L’histoire de France doit être le bréviaire de quiconque aborde l’étude étymologique du français. C’est elle qui lui apprendra à connaître les peuples divers qui se sont côtoyés, fondus ou remplacés sur le sol de notre patrie : les figures, qui s’étendaient à l’origine tout le long de la Méditerranée ; les Aquitains ou Ibères, cantonnés du temps de César entre l’Océan et la Garonne ; les Grecs, fondateurs de Marseille et d’autres villes maritimes, qui rejetèrent peu à peu les figures loin de la côte ; les Gaulois, qui ont occupé dès l’origine des temps historiques la plus grande partie du territoire qui a porté si longtemps, en souvenir d’eux, le nom de Gaule ; les Romains, qui conquirent la Gaule et en firent pendant des siècles une chose à eux ; les Germains qui, sous différens noms (Francs, Wisigoths, Burgundions), s’y établirent à jamais et transformèrent avec le temps la terre des Gaulois (Gallia) en terre des Francs ou France (Francia) ; les Bretons, venus d’outre-Manche pour coloniser l’Armorique, à laquelle ils finirent par imposer le nom de Bretagne ; les Arabes, que le marteau de Charles brisa à Poitiers, mais qui entretinrent assez longtemps des garnisons ou des camps volans en Provence ;