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heureusement pour sa mémoire, des titres plus sérieux auprès de la postérité. Et comme l’erreur engendre l’erreur, on voit se ranger en face d’eux les partisans systématiques de l’hébreu, du celtique, du germanique. À quoi bon les citer nominativement ?


Non ragioniam di lor, ma guarda e passa.


Mieux vaut rappeler les noms des savans qui, malgré bien des erreurs de détail, peuvent passer pour orthodoxes, puisqu’ils croient fermement que le fond essentiel de notre langue est d’origine latine : Du Bois, Bourgoing, Nicot, Fauchet, J.-J. Scaliger, Pasquier, et, au siècle suivant, Casseneuve et Ménage.

Ménage a éclipsé tous ses émules : c’est le seul étymologiste des siècles passés dont le grand public ait retenu le nom. Malheureusement, on a peine à prendre au sérieux celui que Molière a si comiquement mis à la scène, et la cause de l’étymologie a souffert des ridicules de Vadius. Il faut d’ailleurs avouer que la lecture du Dictionnaire étymologique met à une rude épreuve la patience et la crédulité de l’esprit le moins prévenu. Ménage jongle non seulement avec des mots, mais avec des ombres de mots qu’il évoque au gré de sa fantaisie. Ses tours de passe-passe peuvent amuser un instant ; mais comment ne pas crier holà ! quand on le voit se persuader que le public est toujours sa dupe et prendre les épigrammes pour des complimens ! On a cité bien souvent le quatrain du chevalier d’Aceilly (Jacques de Cailly) sur l’étymologie d’alfana, mot italien et espagnol qui signifie « jument »


Alfana vient d’equus, sans doute,
Mais il faut avouer aussi
Qu’en venant de là jusqu’ici
Il a bien changé sur la route.


Le piquant, c’est que Ménage, sans y entendre malice, a publié lui-même, à la fin de son article haquenée, les vers de d’Aceilly : « Il me reste à faire part à mes lecteurs de cette belle épigramme.. » Ô candeur de la vanité !

Plus charitable pour la victime de Molière que ne le furent ses belles amies, Mmes de Sévigné et de La Fayette, une jeune Roumaine, Mlle Elvire Samfiresco, vient de lui élever un monument de respect et d’admiration[1]. Elle y déclare tout net que

  1. Ménage polémiste, philologue, poète, thèse pour le doctorat d’université présentée à la Faculté des lettres de l’Université de Paris (Paris, 1902).