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Enfin je suis bien fâché de vous savoir partant pour un autre monde, c’est le nouveau que je dis, d’autant plus que je crains d’aller, moi, dans un meilleur monde, avant votre retour dans l’ancien. Je suis toujours patraque et catarrheux, outré d’ailleurs du temps que nous avons depuis un mois. Cannes a perdu son soleil. J’étais habitué en me réveillant à voir les îles de Sainte-Marguerite resplendissantes de lumière. A présent, je n’aperçois qu’un ciel gris sur une mer grise. Ce n’était pas la peine de quitter la rue de Lille.

Mlle Lagden, à qui j’ai lu l’article de votre lettre qui la concerne, prétend que vous la calomniez et qu’elle a écouté tout ce que nous disions avec une attention religieuse. Elle me charge de tous ses vœux pour votre heureux voyage, et vous prie de n’en rapporter aucun singe et encore moins de perroquet.

J’aimerais bien causer avec vous des affaires de Grèce. Les descendans de Thémistocle me semblent bien crânes. Croyez-vous que cela dure ? La querelle ressemble beaucoup au fond à plusieurs que j’ai apaisées, où les deux parties, brûlant de s’entre-dévorer à les entendre, étaient prêtes à en venir aux mains lorsqu’il y avait du monde pour les séparer.

La poste m’apporte le Moniteur et Aphroëssa[1]. J’ai ouvert Aphroëssa tout d’abord et j’ai trouvé des vers ! ! ! Vous êtes un étrange homme. Vous êtes diplomate et vous faites de l’archéologie assyrienne. Vous allez en Grèce et vous y faites un tableau du moyen âge, en France, très ressemblant je crois. Et puis voilà que vous faites des vers. Je serais tenté île vous dire comme Mme Malaprop, que vous êtes semblable à Cerbère qui était three gentlemen at once. Mais j’ai quitté la poésie pour lire la partie officielle du Moniteur et je trouve le changement du ministère annoncé. Ne feriez-vous pas bien de différer votre départ ? Et n’y a-t-il pas pour vous mieux et plus près que Rio de Janeiro ? Peut-être vous en accommodez-vous comme du lieu le plus propre à faire cette histoire de la Perse sur laquelle je comptais.

Je connais très peu M. de La Valette, mais il me plaît. Il me paraît avoir une sorte de talent particulièrement propre aux diplomates, celui de trouver des expédiens.

Malgré toute la mauvaise humeur que me donne mon

  1. L’Aphroëssa. (Recueil de poésies contenant : Brennus, l’Achilléide, la Petite chanson, Geneviève de Bradant, le Cartulaire de Saint-Avit, le Carnaval de Venise, Samson.) Paris, Maillet, 1869.