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seul avec un ours dont la conduite est demeurée inconnue. Elle est devenue folle et adonné le jour à un fils dont l’histoire est racontée. Bien entendu, cela n’est pas destiné au respectable public.

Quand paraîtra votre livre sur la Perse ? Je ne suppose pas que ce soit de ce livre-là que vous parlez, lorsque vous m’en annoncez un dont le sujet ne me plaira pas. J’ai, au contraire, le goût le plus vif pour tous les travaux historiques, et si vous avez pu puiser à des sources nouvelles, je me promets un grand plaisir à vous lire. Vous avez habité l’Allemagne et vous avez probablement connu des gens du siècle passé. Leur avez-vous jamais demandé si les mœurs qu’on voit dans Wilhelm Meister ont jamais été celles de leurs mamans et de leurs papas ? Je viens de lire, ou plutôt de relire Wilhelm Meister après quelque trente ans écoulés depuis une première lecture. Je ne saurais vous dire l’indignation que cela m’a causé. Tout m’a paru faux, archi-faux, souvent niais et presque toujours prétentieux et quintessencié. Le seul mérite, selon moi, que j’y reconnaisse à présent, c’est une certaine harmonie dans le faux, au moyen de laquelle, la première impression produite, on va sans trop de secousses d’improbabilités en improbabilités. On s’accoutume à ce monde fantastique, comme à Rome aux Burattini, si bien que, lorsque quelqu’un se lève devant le théâtre on le prend pour un géant. Goethe a-t-il été sa propre dupe ? Dites-moi ce que vous en pensez. — Il fait ici le plus beau temps du monde, mais il n’y a personne. Les aubergistes se désolent. Il paraît que les Anglais les abandonnent, irrités d’avoir été par trop écorchés. Adieu, cher monsieur, agréez tous mes vœux pour votre voyage. Vous serez bien aimable de vous rappeler qu’il y a en Europe quelqu’un qui vous aime de tout cœur.


Cannes, 19 décembre 1868.

Cher Monsieur,

Ainsi vous partez ? On m’écrivait de Paris, il y a quelques jours, que vous alliez changer de général et que vous auriez M. de La Valette, qui est homme d’esprit. Cela me faisait espérer que quelque obstacle viendrait vous fermer le chemin de Rio de Janeiro. Malheureusement, dans ce temps-ci, rien ne se fait vite ni à temps.