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destinée : le rendez-vous de la Madeleine, la cour de justice criminelle, l’exil en Amérique, les bivacs de l’armée russe, et cette bataille de Dresde où un boulet français, lui enlevant la vie, emporta du même coup et sa gloire de soldat et son renom de galant homme.

Joseph Mounier reçut les hautains complimens du Premier Consul :… « Je vous félicite d’avoir justifié l’excellente opinion que j’avais conçue de vous. » Aussi, mis en goût de police par un si beau succès, le préfet d’Ille-et-Vilaine s’appliqua-t-il, plus tard, à éventer d’autres conjurations ; il en découvrit, même en imagina, et, très en faveur désormais, fut nommé conseiller d’État. Intègre et formaliste, il conserva jusqu’à sa mort son bel honneur de Constituant.

Beaucoup moins ingénu, Fouché le terroriste ne put, malgré ses finasseries, recouvrer la confiance de son maître. Quatre mois après l’instruction du complot des libelles, il fut brutalement révoqué. Cambacérès reçut la mission délicate de lui apprendre sa disgrâce, et de chercher à savoir ce qu’il désirait obtenir. De l’argent ! fit comprendre Fouché. Bonaparte le nomma aussitôt sénateur, et gratifia cet insatiable d’une somme de douze cent mille francs, — d’ailleurs, simple goutte d’eau jetée à un gouffre ! Mais ce ne fut pas Dubois qui recueillit la succession du jacobin cassé aux gages. Le ministère de la Police fut réuni à celui du Grand Juge, le « gros juge, » comme on nomma dans le populaire l’obèse et lourdaud Régnier. Il s’acquitta fort mal de son emploi, étant très honnête homme. Dans les bureaux de la rue des Saints-Pères on pesta contre la décision nouvelle, et l’on s’y lamenta, car Patrice et Desmarets faillirent sombrer en ce naufrage. Fouché transporta donc dans un appartement de la rue Basse-du-Rempart le lit conjugal, sa nichée d’enfans, ses soirées de boston et de loto, — ses intrigues aussi. Là, résigné en apparence, et affectant une vie de patriarche, il ne cessa de miner les voies de son successeur, de lui filouter ses mouchards, de fabriquer ainsi des complots, partant de les découvrir et de les dénoncer. « Prenez garde ! murmurait-il à l’oreille de Napoléon ;… des poignards voltigent dans l’air ! Je les vois ; je les sens ! » Il l’effraya si bien que, deux années plus tard, le génial coquin faisait reconstituer la police, et, ministre à nouveau, rentrait en triomphateur dans l’hôtel du quai Voltaire. Nous le reverrons à l’œuvre, en de prochains récits.