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recrues de 1813. Nul Français ne fut plus cruel à la France que ce fils de procureur béarnais qui, dans la mise au pillage du grand Empire, prétendit soutirer une couronne impériale.

Moreau, plus honnête, se montra moins adroit. Au lieu de faire sa paix avec Bonaparte, il trouva plaisant de ricaner. Assez peu spirituel, souvent trivial en ses propos, le grand soldat de Hohenlinden était coutumier de facéties populacières qui, colportées par ses amis, mettaient en liesse et jacobins et royalistes. Le complot des libelles excita sa verve. Ayant connu la délation de Félicie ***, il dénomma l’affaire : Une conspiration de pots de beurre. Le mot courut les salons de Paris, obtint un vif succès, et s’est perpétué dans l’histoire. Mais la méprisante boutade irrita follement le Consul. Les haineuses rancœurs qui depuis tant de mois couvaient en son âme, éclatèrent soudain, furibondes : « Il faut que cette lutte finisse ! Il n’est pas juste que la France souffre, tiraillée entre deux hommes ! Moi, dans la position de Moreau, et lui dans la mienne, je serais son premier aide de camp… S’il se croit en position de gouverner la France (pauvre France ! ) eh bien, soit ! Demain, à quatre heures du matin, qu’il se trouve au Bois de Boulogne ! Son sabre et le mien en décideront : je l’attendrai ! » D’après un témoignage contemporain, Bonaparte chargea Fouché de transmettre à Moreau le défi et le cartel. « Il était près de minuit, affirme Desmarets, quand le ministre revint des Tuileries avec une si étrange commission. J’étais présent ; Moreau fut appelé sur-le-champ… On juge assez que la prudence conciliatrice du ministre dut s’interposer avec succès. Par accommodement, le général consentit à se rendre, le lendemain, au lever des Tuileries, où il ne paraissait pas depuis quelque temps. La plaisante anecdote, en dépit de son invraisemblance, serait-elle vraie ? Toujours est-il qu’un bulletin de police, en date du 16 vendémiaire an XI (8 octobre 1802), signale « la présence du général Moreau à l’audience de cérémonie qui a suivi la parade. » Cette visite théâtrale fournit matière à bien des conjectures, et les « politiques » prétendirent que Moreau allait recevoir un commandement… Et pourtant, déjà le malheureux s’était repris à conspirer ! Il avait entr’ouvert sa porte à l’agent anglais Fauche-Borel, négociait un rapprochement avec Pichegru, et s’avançait, comme par étapes, vers le sinistre dénouement de sa