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de Liège, cet homme littéraire écrivit donc à son tyran : « Bertrand, sous-lieutenant, à Bonaparte, Premier Consul. — Vous êtes déjà Charlemagne, faites de moi un autre Renaud, par intérêt pour votre gloire… » On en lit plutôt, croyons-nous, un mouchard.

Quant au général Simon, sa destinée fut vraiment douloureuse. Destitué, et, comme Bertrand, condamné à la « guillotine sèche » de Cayenne, on l’expédia d’abord à l’île d’Oléron. Le ministre de la Police ne lui accorda pas même un officier de gendarmerie pour l’y conduire, et le soldat, héros de maintes campagnes, dut s’acheminer, de brigade en brigade, pareil à un malfaiteur… « Je désire vous traiter comme un frère, » lui avait dit Fouché… Durant quinze mois, il fut parqué dans la citadelle parmi les condamnés de droit commun. Sous cet opprobre, sa fierté se réveilla, et cette âme, un instant affaissée, ressentit un sursaut de révolte : « J’ai pu errer en politique, écrivit-il à Bonaparte ; mais je n’ai point forfait aux lois de l’honneur, de la délicatesse, de la probité… Vous avez voulu me punir, vous ne sauriez prétendre me déshonorer. » On allait l’embarquer sur la Cybèle, quand l’ordre arriva brusquement de surseoir à son départ. Fouché n’était plus ministre, et un honnête homme, Régnier, dirigeait la police. Le Grand Juge trouva-t-il dans ses dossiers la preuve que Simon s’était, par fanfaronnade ou par dévouement, offert en victime expiatoire ? C’est possible, probable même, — car aussitôt la persécution cessa. Placé en simple surveillance, le général fut réintégré dans son grade avec le traitement de réforme. Il demeura ainsi, dans son pays de Champagne, jusqu’au jour où, la guerre sévissant partout, Napoléon eut besoin d’hommes pour ses grandes hécatombes. Le canon grondait en les sierras d’Espagne, Edouard Simon reçut l’ordre d’y aller ; il partit, et bientôt la faveur impériale faisait du jacobin dompté un baron de l’Empire. Il n’avait pas encore quarante ans, et déjà se reprenait aux longs espoirs, aux vastes ambitions, — quand soudain tout s’effondra sous la mitraille. Tombé de cheval, le corps troué par deux blessures, dans les ravines de Busaco, il fut ramassé par le vainqueur, et parqué dans un « cantonnement. » Dès lors, la malchance de cet homme devint de l’infortune. Rentré en France, sous la Restauration, mais dédaigné comme déjà trop vieux, et molesté pour son « anarchisme, » — pendant douze années, il sollicita, quémanda, se