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complot des libelles fut donc abandonné. Dissimulant, feignant même d’ignorer, Napoléon affecta de (croire aux aveux qu’avait prodigués Simon. L’Adresse aux armées, l’Appel aux soldats de la Patrie, devinrent officiellement une misérable « incartade, » des « actes du délire, » la divagation de la « fièvre chaude. » C’était sage et prudent à la fois. Alors que, du Rhin aux Pyrénées, des Alpes à l’Atlantique, tout un peuple idolâtre acclamait son idole, — un procès politique aurait jeté dans le concert une note trop discordante. Fallait-il que cette France, préparée au despotisme par la licence de la liberté, apprît soudain que son dieu des batailles n’était pas adoré des soldats, et qu’il se rencontrait des généraux pour lui dénier tout génie militaire, et contester jusqu’à ses victoires ? Mieux valait le silence, et le silence se fit ; la conjuration mystérieuse rentra dans son mystère.

Affichant le dédain des offenses, Napoléon qui, d’ordinaire, ne les pardonnait pas, crut se devoir à soi-même d’être clément, Aucun des cabaleurs ne fut sérieusement inquiété…

Auguste Rapatel sortit du Temple, pour demeurer, à Nantes, en simple surveillance… Il s’y maria… Mais bientôt pardonné, et du reste, cavalier intrépide, il gagna rapidement des grades : chef d’escadron, major, aide de camp du roi Joseph, colonel :… clémence impériale, — peut-être aussi reconnaissance ! Plus tard, le voulant croire un royaliste, la Restauration combla de ses faveurs cet officier ; du jeune ami de Moreau elle fit un chevalier de Saint-Louis, un maréchal de camp, un baron. Ainsi chargé d’honneurs, le général Auguste Rapatel vécut longtemps. Il put voir, en ce bizarre pays de France où vivans et morts vont si vite, se succéder trois gouvernemens, et, tour à tour les appréciant, les servit tour à tour, — très habile homme, à une époque féconde en habiles gens.

Armand Pinoteau ne subit pas, non plus, un trop cruel supplice. Incarcéré d’abord au Temple, et destitué de son grade, il recouvra sa liberté, et fut envoyé en surveillance à Ruffec, son pays natal. Mais il comptait dans l’armée impériale de nombreux amis ; Louis Bonaparte intercéda auprès de son frère, et Napoléon se laissa fléchir. En 1808, le colonel reprit ses fonctions dans un état-major des armées d’Espagne. Blessé à Busaco, il devint général de brigade, puis, durant les Gent-Jours, fut créé baron de l’Empire. Le conspirateur jacobin de l’an X s’était, du reste, transformé en un ardent bonapartiste. Les rapports policiers