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solitude, la crainte de l’inconnu, l’épouvante de l’avenir avait eu vite raison de ce dernier Romain !… En même temps, il harcelait Desmarets aussi bien que Fouché d’objurgations où se mêlaient de naïfs reproches : « L’humanité ne peut être incompatible avec les devoirs de votre place ! J’invoque donc vos sentimens de loyauté… J’écris aujourd’hui pour la quatrième fois au ministre ; et je réclame l’exécution de la promesse qu’il m’a faite de me traiter comme son frère… » Un autre billet à Fouché mérite surtout d’être reproduit, car il révèle, à mots couverts, la raison de cette lugubre comédie : « J’ai encore l’honneur de vous adresser une lettre pour le Premier Consul. Je n’entrerai dans aucune explication sur son contenu ; mais vous saurez parfaitement en juger et en apprécier le motif et la valeur. C’est, je crois, le moment de me servir véritablement comme un frère. »

Et toujours aucune réponse, encore et toujours la torture de l’isolement ! Enfin, après cinquante jours d’un pareil enfer, quelques bruits du dehors parvinrent au prisonnier : sa femme était tombée malade, la ruine venait de s’abattre sur sa maison, les huissiers avaient saisi ses meubles et faisaient vendre jusqu’à son uniforme. Mais une nouvelle, plus navrante encore, jeta le désespoir dans le cœur de cet homme réduit aux abois. Le général Edouard Simon était destitué ; on allait le conduire, de brigade en brigade, à l’île d’Oléron ; là on l’enfermerait dans la citadelle avec les prisonniers de droit commun, escarpes ou assassins, et bientôt, une frégate le devait déporter à Cayenne…

Sévices abominables, vengeance indigne de Bonaparte, — mais Chausseblanche avait parlé, et, à Rennes, venait d’éclater une révolte militaire.


XX. — LES RÉVÉLATIONS DE CHAUSSEBLANCHE

Chausseblanche avait parlé, recouvrant enfin la mémoire. Tout en geignant sur sa misère, il dénonçait maintenant, et il accusait. Ses révélations étaient importantes, avec une spécieuse apparence de franchise et de vérité. Alors qu’en sa logette du Temple, Simon dûment stylé écrivait à Bonaparte : « Moi seul je fus coupable ! » son complice disait à Mounier : « Le chef d’état-major n’a fait qu’exécuter des ordres… » Voici donc ce que racontait l’imprimeur, et ses aveux, complétés plus tard