Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/509

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guichetier. Appartement pour le malin qui savait « manger le morceau, » mais cabanon pour l’imbécile qui s’obstinait dans le silence !

D’ordinaire, les détenus réputés dangereux étaient enfermés sous les combles, en d’étroites logettes, glacières lorsque soufflait la bise de nivôse, fournaises quand les mordait la canicule de thermidor… Ce fut dans un de ces réduits qu’on verrouilla Simon, et tout d’abord, l’ami du ministre s’étonna. « Un trou où l’on ne respire qu’à peine !… » le citoyen-concierge n’avait donc pas compris ses instructions !… Le lendemain, sa méchante humeur s’accrut encore. A l’heure où les prisonniers descendirent au préau, sa porte demeura close : on l’avait oublié, ou plutôt on le tenait strictement au secret… Dans l’après-midi de ce jour, il comparut devant le citoyen Fardel, « magistrat de sûreté. » Ce Pierre Fardel était un homme de moralité douteuse, une façon de bandit judiciaire que le tribunal de Versailles condamna, plus tard, pour escroquerie. Mais, souple, dextre, et très retors, il s’était fait l’âme damnée du ministre de la Police. L’interrogatoire eut lieu dans l’enclos même du Temple. Fardel avait préparé d’avance son questionnaire ; il reprit un à un les aveux consignés dans la « déclaration, » mais se garda bien de poser d’embarrassantes demandes, ni surtout de nommer Bernadotte. Simon confirma son dire, puis on le réintégra dans sa cellule… Et cinq jours s’écoulèrent, sans apporter aucun changement à ce régime. Surpris et se conformant alors aux conseils affectueux de Fouché, le détenu se décida d’écrire au Premier Consul. Sa lettre, curieuse, et fort importante, ne manque ni de dignité, ni d’éloquence émue ; elle nous fait aussi connaître l’ingénuité du personnage :


Mon général,

Entraîné par un mouvement de mauvaise humeur, ou plutôt par une fatalité que je ne puis encore concevoir, je me suis rendu coupable d’une grande faute. Oubliant et mes services passés et les récompenses glorieuses que j’en ai reçues, je n’ai pas craint d’attirer sur moi la haine de tous les hommes raisonnables en provoquant l’armée à l’insurrection. Revenu depuis lors à moi-même, j’ai réfléchi aux conséquences affreuses qui pouvaient être le résultat de cet acte de folie, et je n’ai pas balancé à provoquer la juste punition qu’il mérite, en me faisant connaître. J’ai pensé que la franchise de ma conduite, en calmant les craintes du gouvernement sur les causes et le but de mon inconséquence, devait détruire les soupçons qu’il aurait pu concevoir sur des personnes qui sont restées étrangères à mon