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plaisanteries, parfois quelque peu grasses, ne sentaient ni le cynique, ni le mécréant. L’aimable défroqué eut bien vite conquis le cœur du prévenu. Sans faire la moindre allusion à l’histoire des libelles, l’excellent Desmarets entretint le général de ses affaires privées… Oh ! il les connaissait bien. Il savait le désintéressement, l’existence vertueuse de ce dernier Romain ; il savait aussi ses embarras d’argent. Tout récemment encore un infâme banquier n’avait-il pas emporté les pauvres économies de ce brave militaire ? Oui : une scélératesse !… Et la bouche mielleuse déplorait ce trou fait à la lune et s’indignait contre le banqueroutier. Le naïf Simon répliquait, donnait en plein dans le panneau, ne comprenait pas qu’on lui faisait d’avance avouer sa misère, pour lui poser ensuite cette question : « Qui donc vous a fourni l’argent nécessaire à votre complot ? » Non ; et il trouvait ce Desmarets « bon et humain, loyal et généreux. » Au reste, les astuces de Fouché allaient rendre superflues une gredinerie savamment amorcée… Mais déjà l’huissier était de retour, et priait le général de vouloir bien le suivre : l’affable Desmarets daigna guider lui-même son nouveau client, au long des marronniers en fleurs et des pelouses odorantes.

Fouché cependant avait pris lecture de la « déclaration, » et soudain, l’inquiétude qui le tourmentait, depuis un mois, s’était dissipée. Simon n’accusait que soi-même !… Mais alors que devenait l’entreprise formidable, cette conjuration préparée au profit de Moreau ou de Bernadotte, cette affaire inconnue où peut-être il se trouvait compromis lui-même ? Plus rien n’en subsistait, qu’un coup de tête imbécile, qu’une entreprise d’halluciné ? Rassuré désormais, Fouché pouvait donc recouvrer son audace, reprendre l’offensive, et triompher de ses rivaux. Avec quel placide et narquois sourire allait-il, dès demain, dire à Bonaparte : « Eh bien, Général Consul, vous avais-je trompé ? Une vétille, cette affaire des libelles ! Méfiez-vous de vos agens secrets : ils escroquent votre argent. Ces drôles inventent des complots pour les découvrir… »

Ils se connaissaient, de vieille date, les deux jacobins, — l’homme de police et l’homme d’épée — et même, semble-t-il, entretenaient de fréquentes relations : rapports, peut-être, de franc-maçonnerie… A l’entrée du général qu’accompagnait le serviable Desmarets, le ministre se leva, souriant et les mains tendues. Tous trois, durant quelques minutes, échangèrent