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Des phrases ! Et l’ancien Constituant les connaissait trop bien, les phrases : il avait présidé une assemblée française. Au lieu d’une tirade à la Marie-Joseph, il aurait préféré entendre un mot révélateur, — un nom, rien qu’un nom : Bernadotte…

— Ainsi vous, simple général de brigade, vous aviez la prétention de faire insurger l’armée ? Allons donc ! Un homme de votre esprit ne commet point de pareilles incartades. Vous devez avoir un complice, un conseiller, un inspirateur : nommez-le !

Mais Simon s’emporta… Le citoyen-préfet se moquait-il ? A quoi bon des insinuations ! Qui voulait-il désigner ? Moreau ou Bernadotte ? Eh bien, l’un et l’autre étaient demeurés étrangers à la conspiration ! « Sur mon honneur de soldat, je le jure : moi seul j’ai conçu l’entreprise, et moi seul ai prétendu l’exécuter. Je ne suis pas assez niais pour faire le jeu de gens qui ne savent ni oser, ni vouloir. »

Ne croyant guère à tant de beaux sermens, le préfet ordonna au général de résumer par écrit ses demi-aveux : cette déclaration serait envoyée au Premier Consul. Simon obéit, et bientôt on le déposait à la prison de la Tour-Lebat… Alors Mounier fit appeler d’urgence le lieutenant de gendarmerie Dénouai. Redoutant une mutinerie de la soldatesque, peut-être même une attaque contre la maison de justice, cet homme prudent voulait se débarrasser d’un détenu dangereux, et l’expédier à Paris, au plus vite : là on éclaircirait le surplus de l’affaire. Il donna donc de rapides instructions à son gendarme : l’officier devait se procurer une voiture, et conduire, en toute hâte, l’ami de Bernadotte au ministère de la Police.

La nuit était avancée déjà, et les rues de la ville se développaient désertes, quand les portes de la Tour s’ouvrirent avec précautions. Une berline attendait, Simon et le lieutenant y montèrent, puis le dolent équipage roula sur le chemin de Paris. Il emmenait vers le donjon du Temple Dénoual et son jacobin, mais emportait aussi le secret de la conspiration… Personne encore ne soupçonnait, à Rennes, l’arrestation du général.

On pratiqua, le surlendemain, une perquisition à La Moinerie. Le juge de paix Leblanc et le commissaire Simoneau crochetèrent en conscience et fouillèrent les tiroirs, puis ils revinrent, quinauds, à la préfecture… Ces habiles gens n’avaient rien pu trouver.