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— Eh bien ? transportez-vous à Mayence ; j’ai habité cette ville : vous y trouverez de mes autographes.

— Ah, prenez garde ! Ne bravez pas les sévérités de la loi !

— Ouf ! qu’il fait chaud, citoyen préfet ! L’été est vraiment torride, et la Tour-Lebat bien brûlante. Tant d’émotions m’ont épuisé. Ne pourrait-on me laisser en repos ?

Donc, rien à obtenir de tels bailleurs de bourdes, et Mounier se désolait. Pour surcroît de soucis, la correspondance du ministre de la Police lui arrivait, déplaisante : Fouché s’y montrait cassant, hautain, voire injurieux. Il ressentait une vive irritation contre un subalterne qui, trop honnête homme, ne l’avait point servi… « Occupez-vous des royalistes, » et ce Mounier emprisonnait des jacobins !… « Georges est l’inspirateur du complot, » et cet étrange préfet d’Ille-et-Vilaine osait accuser Bernadotte !… Mortifié par Bonaparte, Fouché prétendait à son tour humilier une créature du Consul. Ses dépêches relevaient avec bonheur les naïvetés ou les bévues policières du Constituant, trop féru de légalité ; il le blâmait, le tançait, le gourmandait avec une ironie cruelle ; on eût dit d’un magister morigénant un mauvais écolier : «… Vos lettres ne m’apprennent pas les résultats que j’attendais… L’importance et l’atrocité du complot n’admettent ni les considérations ni les formes… Votre amour pour la forme a failli tout compromettre… Quand vous éprouvez des soupçons, il convient de me les communiquer… Pénétrez-vous de mes ordres, et procédez avec célérité. » Expressions d’une colère impuissante, ou bien témoignages d’affolement, Fouché, plus impassible d’ordinaire, ne ménageait pas ses bourrades. Il demandait aussi qu’on lui expédiât, sans retard, l’imprimeur et le vaguemestre. Le ministre les voulait avoir sous la main afin de poser des questions, d’insinuer des réponses. Ce grand menteur possédait de merveilleux secrets pour faire mentir les autres.

Le style acrimonieux de pareilles mercuriales froissa le susceptible Mounier : il se plaignit à son ministre de l’Intérieur : « Je persiste à croire que, seuls, les anarchistes sont compromis dans le complot… Je le répète : les chouans ne sont pour rien dans cette affaire. On a voulu vous donner le change par des histoires d’émigrés et de bateaux anglais ! » On, — c’était Fouché que le prudent fonctionnaire n’osait désigner autrement. Il prêchait du reste un converti. Chaptal ne croyait plus à une conspiration royaliste ; il avait reçu la visite de Routhier, et le