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XVII. — LES TRIBULATIONS D’UN PRÉFET CONSULAIRE

Saint-Malo !… La ville par où, selon Desmarets, Georges Cadoudal avait envoyé ses libelles !… Le chef de la police secrète avait donc raison !… Fouché voyait clair dans les ténèbres de cette aventure !… Un complot royaliste ! !

Mounier demeura, quelque temps, perplexe ; mais bientôt il écarta la troublante hypothèse.. « Non : encore une comédie, un trop grossier torquet !… Et d’abord quelle était cette Ursule ? Une femme, à en juger par l’écriture fine et menue de son billet. Sans doute ; mais dans ses pattes de mouche pas une faute d’orthographe !… » Cette absence de cacographie avait rendu sceptique le raisonnant préfet. Principal de collège pendant l’émigration, il était resté grammatiste, quelque peu fesseur de cahiers, professant un superbe dédain pour les connaissances féminines : toute femme ignorait fatalement l’orthographe… Naïvement cet homme subtil transmit ses doutes à deux ministres : « Je me suis bien trompé en croyant que cette Ursule était une femme ; un court examen de la lettre m’a vite désabusé : l’orthographe y est trop exacte. » Communiquée à Bonaparte, la dépêche misogyne dut égayer le Consul… Mais déjà d’autres soucis travaillaient la craintive cervelle de Mounier : sa police venait de l’avertir qu’une redoutable effervescence se propageait dans les casernes.

L’arrestation du vaguemestre avait mis en émoi la garnison de Rennes, et la 82e s’excitait jusqu’à la fureur… « De quel droit un civil, un fuyard d’émigré, osait-il porter la main sur les militaires ? Bertrand avait été promené à travers la ville, entouré de gendarmes, et tel qu’un malfaiteur ! Affront à l’uniforme, outrage à l’épaulette !… » Dans les cafés, au quartier de Saint-Cyr, les officiers tenaient des propos de révolte. Les Archives de la Guerre nous ont conservé les noms de quelques meneurs ; des capitaines et des lieutenans : Lelidec, Boutinière, Doriol, Boussard, Rousseau. Le plus enragé de tous était un chef de bataillon, le commandant Millier : « On en veut à notre liberté ! déclamait-il ;… mais malheur à qui la menace ! Moi, je ferai battre la générale, prendre les armes, déployer le drapeau, et alors, on verra !… » Toujours faible et se gardant de sévir, le colonel Pinoteau laissait crier tous ces furieux. Sa conduite était des