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camp de Bernadotte. L’ordre fut exécuté sans retard. Le commissaire Regnault, « le quart d’œil » de la rue Verte, enleva le jeune Marbot dans l’appartement de sa mère. A Versailles, Fourcart fut cueilli, à son tour, par cet autre commissaire, son précieux ami… Dubois avait conduit, à lui seul, cette affaire ; il triomphait. Alors, l’infatué personnage éprouva le besoin d’humilier le ministre, son ennemi. Il laissa passer vingt-quatre heures sans avertir Fouché ; puis quelques billets laconiques lui adressèrent comme un défi : « Le Premier Consul m’a donné l’ordre de faire arrêter le nommé Marbot… En vertu des mêmes ordres, j’ai fait arrêter le nommé Fourcart… Je crois indispensable de faire arrêter tout de suite le nommé Bertrand, sous-lieutenant à la 82e demi-brigade. »

Dubois semblait maintenant diriger la police tout entière.


XVI. — VICTIME DE TYRAN !

Certes le citoyen Nicolas-François Bertrand pouvait passer pour un militaire malchanceux. Intelligent, instruit et sachant son métier, il n’était encore, à quarante ans passés, que sous-lieutenant. Ses parens, — il est vrai, — petits bourgeois de Metz, s’étaient toujours montrés d’impénitens jacobins ; même son frère avait, sous la Terreur, occupé les fonctions d’accusateur public. « Médiocre avocat, anarchiste et adonné au vin, » disait de ce minime Fouquier-Tinville une note facétieuse de son préfet… Oui, sans doute : famille compromettante ; mais de bien autres raisons avaient forcé Bertrand à marquer le pas sous la contre-épaulette. Son dossier renfermait une déconcertante énigme. Officier depuis quelque douze ans, et jadis élu capitaine de grenadiers aux Volontaires de la Moselle, ce raté, ce fruit sec de l’épée ne pouvait invoquer en sa faveur ni blessure ni campagne : à cette époque d’universelle bataille, il n’avait assisté à aucun combat. « Mission particulière, » expliquait sèchement le dossier, — c’est-à-dire, en style moins sibyllin, emploi dans la police. Très finaud, ce grenadier de la Moselle avait exercé l’espionnage partout où, en Belgique, ses volontaires avaient fait claquer leurs sabots. Maintenant, il le pratiquait en Bretagne ; Bernadotte l’avait choisi pour vaguemestre de son armée, « mission particulière, » grâce à laquelle Bertrand pouvait manier, palper les lettres, même les décacheter : il fonctionnait