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que doit être cherché l’un des motifs principaux qui le conduisirent, en 4858, suivant l’expression de M. Gissing, à « se faire un amuseur public au sens le plus bas du mot. » Pendant les douze années qui lui restaient à vivre, il ne s’arrêta pour ainsi dire point de s’exhiber au public anglais et américain, sous prétexte de lire des fragmens de ses œuvres. « Vendredi passé, écrivait-il à un ami, je suis allé de Shrewsbury à Chester, d’où je suis reparti pour Liverpool. Je suis revenu de Liverpool à Chester et y ai fait ma lecture. A onze heures du soir, j’ai repris le train pour Londres. » Sous la direction d’un imprésario, il allait de ville en ville, faisant souvent deux lectures le même jour, en deux endroits différens. Il y avait des semaines où le malheureux se montrait successivement à Londres, à Bradford, à Edimbourg, à Glasgow, à Manchester, et de nouveau à Londres. « Après les séances, écrivait-il, je suis dans un tel état d’anéantissement qu’on me couche sur un sofa, et que j’y reste étendu un quart d’heure, presque sans connaissance. » Il écrivait cela d’Amérique, où malgré les supplications de sa famille et les avertissemens de ses médecins, il s’était obstiné à aller faire une série de lectures. Et, dans la même lettre, il annonçait qu’il venait de traiter avec un imprésario anglais pour une nouvelle série en Angleterre, aussitôt après son retour. On sait que ce sont ces lectures qui l’ont tué.

Mais elles lui ont procuré, pendant douze ans, avec la satisfaction de pouvoir se montrer en public, celle de pouvoir gagner de grosses sommes d’argent. « En arrivant à Manchester, samedi, j’ai trouvé 700 places louées d’avance ! Quand je suis entré dans la salle, 2 500 personnes avaient payé pour m’entendre ! » Ou encore : « Figurez-vous cela ! Notre dernière soirée de New-York a rapporté 500 livres sterling anglaises, déduction faite de l’escompte de l’or ! Le manager porte toujours sous son bras un immense paquet, qui ressemble à un coussin de sofa, et qui n’est fait, en réalité, que de billets de banque. Certes, la tâche est dure, le climat est dur, la vie est dure : mais, jusqu’à présent, les gains sont énormes ! » Et ces lignes, écrites presque à la veille de sa mort, répètent une dernière fois le refrain que nous trouvons dans toutes ses lettres, depuis qu’il a commencé à écrire des livres. En janvier 1839, il avoue à Forster qu’il n’a pas le courage de commencer Barnabé Rudge, parce qu’il est « mis hors de lui par la comparaison entre les bénéfices énormes que son Olivier Twist a rapportés à son éditeur et la misérable somme qu’il lui a rapportée à lui-même. » En 1844, il écrit à son ami : « Quelle nuit atroce j’ai passée ! J’ai cru que je ne m’en remettrais jamais. Et tout cela parce que j’ai