Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/455

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette solennelle niaiserie. » De déroute en désastre la liberté avait fini par disparaitre complètement. Ni liberté de la tribune, ni liberté de la presse ; la volonté du pays de redevenir catholique violemment comprimée ; les ennemis eux-mêmes des jacobins animés du plus pur esprit jacobin ; le pays façonné à l’oppression. C’est ce qui devait rendre si facile le passage d’une tyrannie à une autre tyrannie. Aussi bien les choses ne vont jamais autrement. Quand on parle d’un tyran qui confisque les libertés, ce n’est qu’une métaphore, et la plus inexacte qui se puisse imaginer. Où il n’y a rien, le tyran lui-même perd ses droits. Il est bien vrai que le despotisme s’installe sur les ruines de la liberté ; mais il les a trouvées toutes faites.

Après le moment, le milieu. M. Vandal observe justement que l’étude de l’esprit public qui nous donne le ton et le sens d’une époque doit prendre dans l’histoire une place de plus en plus considérable. Autant qu’il lui a été possible, il a « cherché à démêler les aspirations des différentes classes, leurs besoins, l’instinct des masses, écouté les plaintes des ateliers et des chaumières, le bavardage des boutiques autant que les cris du forum et les discussions des assemblées. » Le témoignage qui résulte de toutes ces dépositions est celui d’une lassitude universelle. Inertie, affaissement des volontés, désintéressement de la chose publique, c’est ce qu’on retrouve partout répandu dans la masse sociale. Le peuple, c’est-à-dire l’ensemble des artisans et des petits bourgeois n’a soif que de tranquillité. Après tant de secousses, de luttes étrangères et civiles, de déchiremens intérieurs et de crimes, il n’aspire qu’au repos. Il a cessé d’avoir foi dans les principes de la Révolution qui a menti à toutes ses promesses. Il subit un gouvernement qu’il méprise, faute d’avoir le courage de le renverser et faute surtout de savoir par quoi le remplacer. L’expérience l’a instruit et il sait combien peu il lui a servi de changer tant de fois de régime. Cette apathie des gouvernés garantit seule aux gouvernans la possession du pouvoir. Faible assurance ! et ceux-ci se rendent bien compte qu’ils sont à la merci du premier choc, péril extérieur, retour offensif des jacobins, ou conspiration royaliste.

Chez qui donc va naître l’idée d’un coup de force ? Chez ceux-là mêmes qui détiennent le pouvoir et qui craignent de le perdre. La France est aux mains d’une oligarchie, elle est devenue la propriété d’une caste exclusive, fermée, qui s’est détachée de la nation, qui vit en dehors d’elle, étrangère à ses besoins, indifférente à ses maux. C’est la bande de ceux que M. Vandal appelle les