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les corps dont elle était composée de se secourir et de se concentrer, de changer, à temps, l’ordre de marche en ordre de bataille ? A Dunbar, qui ne voit qu’Olivier s’était placé dans la position la plus dangereuse, dans une plaine ouverte entre les montagnes et la mer, coupé à la fois de ses communications avec Edimbourg et avec la frontière anglaise ? Son génie fut d’attendre que ses adversaires perdissent patience et renonçassent, en l’attaquant les premiers, à l’avantage de leur position.

Sur la diplomatie de Cromwell, je serai plus affirmatif parce que les faits parlent d’eux-mêmes. L’Angleterre, au moment où Cromwell prit la direction de sa politique extérieure, avait deux grands intérêts, l’un essentiel à son prestige, l’autre nécessaire à son développement matériel : s’affirmer comme la protectrice de la liberté de conscience en Europe, s’emparer des transports maritimes.

Le premier de ces intérêts lui commandait de contenir l’ambition grandissante de la France ; le second, de ruiner, sur mer, la puissance des Hollandais. Cromwell fit la paix avec la Hollande et s’allia intimement avec la France contre l’Espagne. Or les jours de l’Armada étaient loin et il y avait un demi-siècle que le colosse espagnol, frappé de léthargie, ne menaçait plus personne. Pourquoi s’attaquer à ce moribond ? Etait-ce un pur anachronisme ? Etait-ce la politique de pile ou face ? C’était, je le crains, quelque chose de moins estimable encore. La République autoritaire, la République de droit divin ne pouvait vivre qu’en s’appuyant sur une forte et nombreuse armée de terre et de mer. Cette armée, il fallait la payer et la nourrir et, pour cela, s’il était possible, l’employer à quelque guerre lucrative. La guerre contre l’Espagne fut précisément cette guerre. Je n’y vois qu’une succession d’heureuses pirateries. Nous fûmes les seuls à en tirer un avantage politique et c’est l’unique circonstance où nous ayons dupé les Anglais. Les historiens nationaux font un mérite à leur héros d’avoir obtenu Dunkerque comme prix de sa coopération à la victoire des Dunes. Mais l’Angleterre ne devait pas garder longtemps sa conquête. Ils l’admirent d’avoir protégé les Vaudois, mais l’action de Cromwell, en cette affaire, n’eût été suivie que d’un effet bien mince si le cardinal Mazarin ne l’eût appuyée. L’Impérialisme a ses Loriquets qui prêtent à l’Angleterre du XVIe et du XVIIe siècle les magnifiques insolences de l’Angleterre du XXe : il faut couper court à ces illusions