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d’autres siècles, et sous d’autres cieux ? Quant à lui, il s’enferme dans la pensée judaïque. Il cherche dans l’Écriture tout ce qu’il doit croire sur la société, l’État, la morale. Il avait lu, probablement, l’Histoire universelle de Raleigh puisqu’il en recommande la lecture à son fils. À quelques vues sur l’histoire il permet qu’on joigne un peu de mathématiques. Par un mélange qui est bien du puritain, la connaissance pratique des affaires doit s’allier à l’intelligence des « choses de Dieu. » Là s’arrête la pédagogie de Cromwell qui n’était, sans doute, qu’un ressouvenir de sa propre éducation.

Napoléon a confessé qu’après Arcole l’horizon s’élargit démesurément devant lui et que l’éblouissante perspective du pouvoir suprême se déroula devant son imagination. Il avait alors vingt-huit ans. Mais il est probable que, dès l’école de Brienne, son cerveau était hanté par la vision d’un grand avenir militaire. Un jour, à Sainte-Hélène, il a esquissé devant ses compagnons ce qu’eût pu être sa destinée sans la Révolution française. Au contraire, lorsque Olivier, à plus de trente ans, usait son activité dans de mesquines querelles avec la municipalité de Huntingdon, aucun signe, interne ou externe, aucun pressentiment ne pouvait l’avertir de sa grandeur future. À quarante ans, il était persuadé qu’il léguerait à son fils la ferme des dîmes de la cathédrale d’Ely dont il était lui-même investi par héritage. À quarante ans, c’est-à-dire lorsque sa vie était déjà écoulée aux deux tiers ! Ce n’est donc pas un de ces grands ambitieux que tourmente, de bonne heure, la passion de gouverner le monde. Et ce n’est pas, davantage, un de ces philosophes politiques que pousse en avant le désir d’appliquer leurs théories. Nous connaissons les « idées » d’Elliot, de Coke, de Selden, de Pym, de Vane, d’Ireton, de Rainborough, de Prynne, de Lilburn, et de vingt autres qui ont joué leur rôle dans cette révolution. Mais les « idées » de Cromwell, qui les connaît ? Où les trouve-t-on ? Aux différentes phases de son évolution, il a paru professer ou, du moins, accepter les opinions de ces hommes : il ne s’est arrêté à aucune ; sa politique consiste à écraser ses ennemis, qu’il croit être les ennemis de Dieu, quand il en trouve l’occasion et à s’incliner respectueusement devant les faits accomplis, car ce sont des « jugemens. » Essayez de réunir en un corps de doctrine, en un credo politique les pensées qu’il a exprimées aux divers momens de sa carrière et vous n’aurez qu’un chaos de contradictions.