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posthumes en ont conclu que sa jeunesse avait été abandonnée aux plus grands excès, mais les historiens modernes ont raison de rejeter cette interprétation. En effet, c’est un des traits caractéristiques du puritain qu’il ne connaît pas de degrés dans la faute. Un juron, une partie de boules le dimanche apparaissent à sa conscience surexcitée sur le même plan que l’assassinat ou l’adultère ; quelquefois bien pires. Car il ne mesure pas le péché au tort fait à autrui, à l’empiétement sur une autre existence. Il a « transgressé : » tout est là. C’est ainsi que Bunyan se trouvait un monstre parce que, dans sa jeunesse, il prenait plaisir à sonner les cloches.

Ce qui est certain, c’est que Cromwell a été un excellent mari. Il écrit à sa femme, de l’un de ses champs de bataille, avec une brutalité laconique qui peint l’homme : « Je n’aime rien autant que vous. Que cela suffise ! » Il dit, à propos de la mort de son fils aîné (en 1639) : « Cette mort me traversa le cœur comme un coup de poignard. » Mourant lui-même, il passe les jours et les nuits au chevet de sa fille bien-aimée. Donc, il est humain à ses jours et à sa façon, le bourreau de Wexford et de Drogheda.

Nous possédons déjà quelques traits de ce caractère. Mais qu’a-t-il dans son entendement ? Je réponds : fort peu de chose. Il a reçu les premiers principes à l’école de Huntingdon où il a eu pour instructeur un calviniste militant, le docteur Beard, et il est resté fidèle à son maître, puisque l’unique discours prononcé par Olivier dans le parlement de 1628 est une protestation irritée contre certain évoque qui avait refusé la parole au docteur.

A dix-sept ans, il se rend à l’Université de Cambridge où il passe un an dans un milieu également calviniste. Il saura tout juste assez de latin pour échanger quelques mots dans cette langue avec les ambassadeurs hollandais. Milton, qui s’y connaît, nous avertit que le latin du Protecteur est vicious and scanty. On nous dit à peu près la même chose de Shakspeare : small latin and no greek. Mais quelle différence dans la disposition de ces deux hommes. Shakspeare lit Plutarque (dans la traduction de Chapman) ; il essaie de deviner Platon à travers Pétrarque. Tous les souffles qui arrivent jusqu’à lui de l’antiquité classique, il les recueille et s’en imprègne. Cromwell est, avant tout, de son temps et de son pays. Insulaire endurci et chrétien exclusif, il dédaigne les anciens et ignore la Renaissance. A quoi bon ces choses exotiques et païennes, nées en