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continuer après en avoir brutalement proclamé l’échec. Et, quand cet échec est définitif, il ne lui reste plus ni politique ni programme d’aucune sorte, hormis le maintien de l’ordre matériel par les plus mauvais moyens que le despotisme mette à sa disposition.

J’ai écrit tout à l’heure que le puritain avait « disparu. » Est-ce vrai ? Non, ce n’est qu’une apparence. La Révolution anglaise semble avoir tourné en cercle. Commencée par les légistes en 1628, elle est terminée en 1688 par les légistes. Elle aboutit à la restauration des vieilles libertés, de la Magna Charta, et l’on va voir comment les puritains s’inquiétaient de la Magna Charta. Quant aux fils et aux petits-fils des puritains de 1640, qu’obtiennent-ils ? La tolérance, sans plus ; le droit d’exister. Et on dirait qu’ils n’ont même pas profité de ce droit ; car, pendant cent ans, on n’entend plus parler d’eux et on peut les croire morts. Pourtant ils vivaient comme les Saxons avaient vécu sous la domination normande. Aujourd’hui ils sont toute l’Angleterre. Ils ont changé de nom, de doctrine, de morale, mais ce sont les mêmes hommes. Seulement le « peuple de Dieu » est devenu « la race supérieure ; » ils ne commandent plus au nom du Christ, mais ils invoquent Darwin. Ceux qui compareront attentivement les deux siècles seront amenés, inévitablement, à reconnaître l’identité persistante du caractère national à travers la diversité et, parfois, la contrariété apparente de ses manifestations. Et, peu à peu, s’imposera à leur esprit cette formule que je vais essayer de justifier : « Cromwell, c’est le puritain, et le puritain, c’est l’Anglais. »


II

J’imagine que, si Taine avait eu à rendre compte des causes qui ont déterminé l’apparition de Cromwell dans l’histoire anglaise, il aurait, d’abord, jeté un coup d’œil sur la contrée des fens. Ces marais furent le dernier refuge de la nationalité saxonne après la conquête normande et c’est de là que sortit cette « association des comtés de l’Est, » qui forma la substance de l’armée puritaine et fut l’âme de la résistance aux Stuarts. Aujourd’hui les marais sont desséchés ; l’eau est rentrée sous terre, mais elle fait encore sentir sa présence invisible par de