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mon compartiment s’ouvre et je vois des gendarmes éclairés par un falot. Au même instant, le conducteur au pourboire s’avance et leur dit quelques mots que je n’entends pas. Les gendarmes s’éloignent en saluant ; ils avaient probablement appris par le conducteur que j’étais un voyageur de toute sûreté.

Puis, le train se remet en marche et, quelques minutes après, je suis à Bâle, libre, heureux, fier comme je ne l’ai plus jamais été.

Huit jours après, j’étais sur la Loire, chef d’état-major de l’artillerie du 25e corps et je réalisais ce rêve, qui me paraissait si beau, et si lointain, à Wiesbaden, de me joindre à ceux qui se battaient pour la patrie.

GENERAL ZURLINDEN.


P.-S. — Je n’ai su qu’à l’issue de la guerre, ce qui s’était passé en Allemagne après mon départ.

A Wiesbaden, les officiers internés apprirent bientôt, par une lettre que j’écrivis de Bâle au général de Berckeim, toute mon aventure. Ils se firent un plaisir de la dire au général von Sænger, qui, quelque temps auparavant, leur avait annoncé l’emprisonnement définitif, dans une forteresse de l’Est, de leur « exalté camarade. » Le vieux général allemand ne put s’empêcher d’approuver ma conduite !

Dans la prison de Glogau, après le départ du geôlier qui avait enfin pu obtenir la lettre du sous-lieutenant Motte, mes camarades étaient restés anxieux, guettant tous les bruits, prêts à m’avertir s’il y avait eu un danger en criant par la fenêtre : « Misère ! » le nom de la petite chienne de l’un d’eux.

Tout était resté calme et paraissait bien marcher lorsque, vers six heures et demie, la sonnette du rez-de-chaussée s’agita. Les officiers crièrent, à travers la porte, au maire et à M. Cocault qu’ils allaient me perdre en continuant à appeler ; que je venais de m’évader. M. Cocault leur répondit qu’il avait des coliques atroces et qu’il allait essayer de patienter. Mais il était trop tard : le poste avait entendu, et le geôlier arriva bientôt avec quelques soldats.

Lorsqu’on ouvrit la porte, M. Cocault essaya de faire entendre au geôlier qu’il n’avait plus besoin de lui. Le geôlier, très gris, et n’y comprenant rien, voulut se faire expliquer la chose par moi et monta me chercher dans ma chambre au premier étage.