Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après m’avoir vu essayer mon déguisement, que j’avais l’air d’un voyageur de 2e classe.

A Lissa, je m’embarque pour Posen ; puis pour Creutz, où je prends la ligne de Berlin. J’arrive à Berlin vers sept heures du matin et je me fais conduire aussitôt à la gare de Potsdam-Magdebourg.

A neuf heures, je pars pour Francfort, par Gassel. Les voyageurs se renouvellent plusieurs fois dans mon compartiment de 2e classe. Pour éviter les questions, je lisais très attentivement la Gazette de la Croix ou bien je faisais semblant de dormir. Vers le milieu de la journée, j’étais gelé, fatigué et, tout en fermant les yeux, je grelottais, bien qu’appuyé, pour avoir moins froid, contre la séparation du milieu.

J’avais, à ce moment, pour compagnons de compartiment, deux commis voyageurs et j’entendis l’un d’eux dire : « Ce ne doit pas être un vrai Allemand, il a trop froid. »

Je ne fais semblant de rien ; mais, à la première station, j’ai soin de demander un renseignement au conducteur du train en tâchant de parler un allemand aussi peu alsacien que possible. Les deux commis voyageurs ne s’occupent plus de moi et ne tardent pas à descendre.

Notre train eut un très gros retard. Au lieu d’arriver à Francfort à huit heures du soir, nous n’y étions qu’à minuit. Cette circonstance était fâcheuse, car il n’y avait plus de train avant le matin pour Heidelberg et j’allais être forcé de passer la nuit à Francfort.

J’essaie de m’installer dans la gare, sous prétexte de partir le matin de très bonne heure ; mais tout est fermé. Il fait un froid de loup ; je suis fatigué ; j’ai faim et je me promène de long en large, avec mes bagages qui me gèlent les doigts, devant un petit hôtel très élégant, bien éclairé, qui avoisine la gare. J’hésite beaucoup à y entrer ; j’étais effrayé surtout à l’idée du registre des voyageurs qu’on me présenterait infailliblement pour y inscrire une série de renseignemens sur ma situation, et qui compromettrait peut-être mon expédition.

La faim et le froid l’emportent. J’entre et demande une chambre et à souper. On me conduit aussitôt dans la salle à manger que j’espérais trouver vide, — il était près d’une heure de la nuit. Mais j’avais oublié que c’était la nuit de Noël. Il y avait beaucoup de soupeurs d’aspect élégant ; plusieurs