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Je poursuis mon chemin en rampant jusqu’au bastion que j’avais reconnu quelques jours auparavant. Je fais descendre ma valise, à l’aide d’une corde, derrière des voitures d’artillerie placées au pied du talus. Puis, je me mets sur le dos et me laisse glisser en m’accrochant aux touffes d’herbes pour ralentir ma descente et éviter de faire trop de bruit.

Tout en glissant, j’entends marcher dans la rue qui longe cette partie de la fortification. Une fois à terre, j’écoute bien vite. Je n’entends d’abord rien ; l’individu s’était arrêté : étais-je déjà pris ?… Mais bientôt il se remet à marcher et passe à quelques pas de la voiture d’artillerie qui me cachait : c’est un garçon meunier qui remonte la rue du rempart et se met à siffler tranquillement. Il n’a rien vu.

Je le laisse s’éloigner ; puis je m’essuie et je tire de ma valise de quoi me donner l’air d’un voyageur allemand : une couverture de voyage, un bonnet et un fort collet de fourrures, de gros gants fourrés et des lunettes. Je sors alors de ma cachette, tenant d’une main ma valise vide maintenant, de l’autre ma couverture de voyage, et je me dirige vers l’intérieur de la ville, les jambes un peu brisées par l’émotion.

Je descends la grande rue dans laquelle je m’étais engagé, et je marche cinq minutes sans demander mon chemin. Enfin, je m’adresse à un soldat allemand qui passe. Il m’indique la direction de la gare : je n’avais qu’à continuer tout droit et à sortir de la ville. Sous la porte de la forteresse, je rencontre, en effet, des gens munis de bagages qui vont évidemment vers le chemin de fer et que je suis.

Le train que je voulais prendre partait à sept heures. Il est sept heures moins un quart quand je demande mon billet pour Lissa au milieu d’une cohue de soldats silésiens qui partent en permission pour les fêtes de Noël. Personne ne fait attention à moi.

Je me rends de suite sur le quai, moins éclairé que les salles d’attente. Un groupe d’officiers en grande tenue s’y promène de long en large : ce sont le commandant et les officiers de l’état-major de la place, qui accompagnent jusqu’au train le gouverneur de Posen et de Silésie.

Je reste dans l’ombre pendant que les officiers prennent congé du gouverneur et je monte au plus vite dans mon compartiment de 2e classe : mes camarades de prison avaient en effet décidé,