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Il va le trouver pour prendre sa lettre, en maugréant de sa voix avinée. L’un de mes camarades le suit et pousse la porte sur lui. On me jette mon manteau sur les épaules ; j’avais mis à l’avance par-dessus mes bottes, pour éviter de faire du bruit en marchant, de gros chaussons de laine comme on en porte en Allemagne. Je me laisse glisser le long de la rampe de l’escalier.

La double porte de la prison était simplement poussée, comme nous l’espérions. Je l’ouvre et avance la tête pour voir où se trouve le factionnaire. Il fait nuit noire. Je ne vois et n’entends rien. Est-il dans sa guérite, ou près de moi, ou près du poste ? Impossible de le savoir.

Pressé par l’idée que le geôlier allait descendre, je sors à tous risques ; je traverse les quelques mètres qui me séparent du sentier, et je monte sans bruit sur la fortification jusqu’au pied de la plongée. Là, je m’étends à plat ventre dans la neige, derrière quelques broussailles, et j’attends. Je vois alors le factionnaire bien éclairé par le bec de gaz du coin du poste. Il était arrêté entre la guérite et ce coin et regardait du côté de la rue, assez animée à ce moment par la sortie des ouvriers. La guérite m’avait caché.

Bientôt, j’entends le geôlier descendre, fermer les portes, dire quelques mots au factionnaire et rentrer chez lui.

Le factionnaire fait quelques pas ; puis s’arrête de nouveau, tourné vers la rue et battant de la semelle.

Je me mets alors à ramper le long de la banquette d’infanterie pour gagner l’endroit où la fortification s’élève au-dessus de la porte de Breslau. Il me faut ainsi passer devant le factionnaire, à vingt mètres environ de distance, et à hauteur d’un premier étage. La neige, les feuilles sèches crient sous moi. Tout le long du parcours, il y a bien, de loin en loin, quelques buissons qui me cachent un peu, mais juste en face de lui, en plein sous la lumière du bec de gaz, il y a un espace de trois mètres entièrement nu.

Le cœur me bat bien fort quand j’y arrive. La neige crie plus que jamais. Je ne quitte pas mon homme des yeux ; mais il ne bronche pas et continue à battre de la semelle et à regarder les passans de la rue.

Presque aussitôt après, j’atteins la surélévation du rempart et je suis caché. C’est là qu’est ma valise.