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hommes du poste se multiplient pour tout mettre en état. J’apprends par le geôlier que le gouverneur de Posen et de Silésie, le général von Steinmetz, avait annoncé son arrivée pour une inspection des prisonniers français.

Toute la journée, on reste sur le qui-vive dans le poste et la prison. Nous entendons, plusieurs fois, la garde sortir pour rendre les honneurs. Mais le gouverneur n’entre pas dans notre prison ; il se contente de se renseigner sur notre installation, en passant, après avoir inspecté, hors de la ville, le casernement de nos malheureux soldats.

Quant à moi, je ne cesse de songer à cette maudite inspection qui vient ainsi troubler mes combinaisons : tantôt, je pense qu’il serait vraiment par trop téméraire de tenter à m’évader un jour où la surveillance allait évidemment être plus étroite que jamais. Tantôt, il me semble, au contraire, que, par cela même que tout le monde aura été sur pied du matin jusqu’au soir, il se produira forcément, après l’inspection, un peu de relâchement et une détente qui me seront plutôt favorables.

Je passe ma journée dans ces perplexités, mais sans les communiquer à mes camarades. Vers trois heures et demie, je prends définitivement mon parti. L’heure de la promenade était déjà à moitié passée. Il n’y avait plus une minute à perdre, si je voulais agir ce jour-là. Je vais trouver mon camarade, le lieutenant Nicolas, et je le prie de m’aider à sortir ma valise sous son grand manteau de cavalerie, en profitant de ce que le jour commençait à baisser. Nous montons sur la fortification et après quelques tours de promenade, nous déposons ma valise derrière quelques broussailles, au-dessus de la porte de Breslau, dans un endroit mal vu du factionnaire ; je me dépêche de la couvrir d’une serviette blanche afin qu’elle ne tranche pas sur la neige. Puis, nous rentrons nous faire enfermer, l’heure de la promenade étant passée.

Mes camarades m’aident à achever mes préparatifs, me chargent de commissions pour la France ; puis, nous attendons, eux aussi anxieux que moi, l’heure où le geôlier doit monter, une fois le dîner servi.

Quand il arrive, nous étions assis autour de la table à manger, tous, sauf notre camarade le sous-lieutenant Motte, qui était resté dans l’autre chambre. Le geôlier me demande où il est. Je lui dis qu’il termine une lettre pressée.